Votre taulier a le sens de l’à-propos : jeudi soir à la nuit tombée juché sur son fier destrier noir il a pédalé au train d’un sénateur jusqu’au 68 du boulevard Saint Michel où est sis la questure du Sénat de la République. Les vignerons de la Côte Chalonnaise y organisaient une dégustation dans les appartements du questeur Beaumont, sénateur de Saône-et-Loire. Pour ne rien vous cacher j’étais rentré dare-dare des vertes prairies du Puy-de-Dôme pour aller admirer les Mercurey du château de Chamirey que présentait la souriante et accueillante Aurore Devillard.
Du balcon du premier étage il me fut possible de contempler dans un jardin du Luxembourg plongé dans la pénombre le lourd bâtiment du Sénat piqueté de lumières qui prenait des allures de Grand Hôtel du bord de mer dans un film de Visconti. J’imaginais sous les ors, les conciliabules entre les puissants d’hier et quelques seconds couteaux prêts à vendre leur voix pour un plat de lentilles. J’ai fréquenté le Sénat pour y défendre au banc du gouvernement des lois, je connais les usages et je sais que les coups tordus se font avec la componction qui sied à cette assemblée qui se dit composée de Sages.
Il y eut deux petits discours : le premier de Bertrand Devillard en remerciement de l’hospitalité offerte par le questeur et la réponse du dit questeur René Beaumont. Celui-ci, en ce moment historique d’alternance, avec une élégance un peu désabusée mais souriante, fit part à l’assistance : vignerons et goûteurs qu’elle était ici chez elle puisque le Sénat était le représentant des terroirs de France. Belle définition qui comme tout ce qui est destiné à plaire à une assistance recèle à la fois une part de vérité et une part d’enluminures.
Comme nos sénateurs sont élus par de grands électeurs pour la plupart élus locaux et que par ce mode de scrutin, pas toujours bien connu des Français, ils se retrouvent redevables de bien représenter leurs préoccupations et celles de leurs administrés. Partageant mon bureau avec un maire rural du fin fond du Cantal je sais d’expérience que ce n’est pas une sinécure et que notre France devenue si urbaine a besoin de se soucier de ceux qui ont encore les pieds sur des terres cultivées. Cependant, ce qui m’importe dans cette histoire de représentation des terroirs ce n’est pas la représentativité de ceux qui s’en disent les hérauts mais les résultats de leur labeur pour que les Français reconnaissent à leur juste valeur tout ce que nous apportent ces fameux terroirs et plus particulièrement les femmes et les hommes qui y travaillent.
C’est là où le bât blesse. En effet, plus que des défenseurs des terroirs de France nos braves sénateurs apparaissent aux yeux de leurs compatriotes avant tout préoccupé du terroir de leurs électeurs. Position logique mais qui donne le sentiment d’un féodalisme bien compris. Emiettement, baronnies, village gaulois, chauvinisme local, message inaudible au-delà du cercle des convaincus, discours de comice, bonnes paroles ne dépassant pas les limites de la circonscription, image d’un lobby du vin accroché à des vieilles lunes… tout ça confine le monde du vin dans une position étrange où se mêle la sympathie et une indifférence à son importance dans la richesse de notre vieux pays.
Le monde du vin agit en petit chose de rien qui se réfugie dans les bras protecteurs de nos sénateurs chenus pour se plaindre, geindre, tempêter contre tous ceux qui lui veulent du mal. Je peux comprendre cette réaction face à l’arrogance et la suffisance de certains mais ce n’est pas à moi que l’on va faire accroire que c’est sous les voutes du Sénat de la République que le combat se gagne. Le monde du vin dispose de gros moyens ponctionnés dans la poche de chaque vigneron. Combien en distrait-il pour convaincre l’opinion publique de la justesse de sa démarche. Si peu, hormis ceux de Vin&Société.
Alors nous n’avons que ce que nous méritons ! Nous jouons dans le bac à sable du beau jardin du Luxembourg, c’est très sympa mais les vrais enjeux sont ailleurs et nous ne sommes pas au rendez-vous...