En notre beau pays, qui se veut aussi celui du vin, la place de Bordeaux concentre sur sa manière d’être, une somme d’allergies provoquant des prurits violents. Et pourtant, avec leur mise au château, même si parfois ceux-ci ne sont qu’en carton pâte, ils ont su flatter, brosser dans le sens du poil, le populo. Pour preuve une publicité récente du CIVB qui déclarait « Offrez-vous un château pour une petite pincée d’euros ». La populace a applaudi lorsque la Terreur a raccourci Louis le Seizième et sa Marie-Antoinette mais chez nous il est de bon ton de parler de pouvoirs régaliens, d’adorer la pompe et l’apparat hérités de la royauté, de révérer les particules : Giscard dit d’Estaing, de rêver de souper chez la baronne ou la comtesse, d’acheter un Baron de Lestac et, bien sûr, de s’extasier devant la télé lorsque les acheteurs de GCC font péter les milliers d’euros bien mieux que les fayots.
Tout ça c’est vieux comme la France ! Pour preuve les écrits de notre Emile Zola : d’un côté la Gervaise la blanchisseuse de l’Assommoir, qui gage sa robe au mont de piété pour inviter ses voisins à fêter son anniversaire. Elle leur fait péter la sous-ventrière mais, quand arrive le « vin cacheté », le grand-frère des mises à la propriété, les ouvriers qui cassent du bourgeois et de l’aristo se lèvent pour porter un toast, sacrifiant, avec dignité et politesse, au rituel de leurs ennemis de classes (1). De l’autre, Nana, la dévergondée, la poule de luxe, la courtisane, qui organise une soirée pour fêter son succès au théâtre et sert des grands vins pour impressionner ses invités (2).
Le vin est symbole de classe sociale. C’est un marqueur et tous ceux qui poussent des cris d’orfraies à propos des Primeurs de Bordeaux sont a-historique. La qualité du vin, au sens ancien du mot, et la manière de le servir, de le déguster, symbolise, aussi bien pour les nantis que le populo, le luxe, la richesse, le prestige, le gaspillage, la débauche. Toutes les belles phrases ampoulées, emphatiques, les cris d’amour pour le vin n’y changeront rien, il faut impressionner la galerie, en jeter un maximum, faire comme si...
(1) « Et le vin donc, mes enfants, ça coulait autour de la table comme coule à la Seine. Un vrai ruisseau, lorsqu’il a plu et que la terre a soif. Coupeau versait de haut, pour voir le jet rouge écumer ; et quand un litre était vide, il faisait la blague de retourner le goulot et de le presser du geste familier aux femmes qui traient les vaches. Encore une négresse qui avait la gueule cassée ! Dans un coin de la boutique, le tas des négresses mortes grandissait, un cimetière de bouteilles sur lequel on poussait les ordures de la nappe.
[...] Mais brusquement, Gervaise se souvint des six bouteilles de vin cacheté ; elle avait oublié de les servir avec l’oie ; elle les apporta, on emplit les verres. Alors, Poisson se souleva et dit, son verre à la main :
- Je bois à la santé de la patronne.
Toute la société, avec un fracas de chaises remuées, se mit debout ; les bras se tendirent, les verres se choquèrent, au milieu d’une clameur »
(2) « Purée d’asperges comtesse, consommé à la Deslignac murmuraient les garçons, en promenant des assiettes pleines derrière les convives.
[...] On se serra encore, Fourcamont et Louise obtinrent pour eux deux un petit bout de table ; mais l’ami dut rester à distance de son couvert ; il mangeait, les bras allongés entre les épaules de ses voisins. Les garçons enlevaient les assiettes à potage, des crépinettes de lapereaux aux truffes et des gnocchis au parmesan circulaient.
[...] On servait les relevés, une carpe du Rhin à la Chambord et une selle de chevreuil à l’anglaise.
[...] Un grand mouvement avait lieu autour de la table. Les garçons s’empressaient. Après les relevés, les entrées venaient de paraître : des poulardes à la maréchale, des filets de sole sauce ravigote et des escalopes de foie gras. Le maître d’hôtel, qui avait fait verser jusque là du Meursault, offrait du Chambertin et du Léoville. »
Kazum Ogoura souligne dans son livre La dégustation du vin à travers la littérature française :
« Les trois vins qui apparaissent dans Nana ont plusieurs éléments communs : ce sont tous de bons crûs, mais ce ne sont pas des vins des plus prestigieux. Ceci signifie que l’on peut se procurer ses vins assez facilement dur le marché. Ainsi dans le roman, ces trois vins, de par leur qualité et leur facilité d’accès, symbolisent à la fois la qualité du festin que Nana organise et la banalité qui entoure de dîner.
Il y a cependant un autre élément que le choix du vin qui se cache dans le roman ? Le symbolisme se dissimule dans le fait que les trois vins de première qualité sont choisis par le maître d’hôtel et qu’aucun convive (sauf Daguent qui fait un commentaire sur le poisson et le Léoville) ne semble avoir connaissance de la qualité du vin dégusté. »
L’adage populaire « Donner de la confiture à des cochons » est, ici et maintenant, le plus parlant mais ne dit-on pas aussi « cochons de payants ! » Alors « vin cacheté » maintenant GCC la roue tourne mais rien n’a vraiment changé sauf le prix à payer qui maintenant plus corsé pour une flopée de gens de peu qualité mais fort argenté...