Sur mon espace de liberté je m’enorgueillis de recevoir tout le monde. Tel n’est pas le cas de la grande majorité de mes confrères qui se contentent de révérer les bouteilles en ignorant superbement l’avant et l’après. C’est plus facile, plus confortable, plus valorisant que de s’intéresser au caddie et au cabas de madame tout le monde. Ce long préambule pour vous dire que je suis très heureux ce matin d’accueillir Olivier Mouchet, le monsieur vin d’Auchan. Mon plaisir est d’autant plus grand que je le fais avec plusieurs casquettes : la première est celle de Secrétaire Perpétuel autoproclamé de l’ABV dont Olivier est membre depuis l’origine, la seconde est bien sûr celle de questionneur non patenté, et la dernière, plus personnelle, est celle d’un petit chroniqueur bien esseulé qui a apprécié, au temps des vaches maigres, le soutien d’Olivier Mouchet en tant que lecteur, mais aussi promoteur, de mon petit blog auprès de son entourage (prenez de la graine, faites abonner vos amis !). Que l’on m’accusât de « mélange des jarres » (pour comprendre lire http://www.berthomeau.com/article-faut-il-changer-l-aude-en-vin-jean-baptiste-botul-ne-a-lairiere-y-repond-dans-la-metaphysique-du-mou-et-pisse-le-long-de-la-raie-d-onfray-50170766.html ) peu me chaut, je ne suis pas achetable car je suis invendable.
Olivier est un parigot de naissance, le sud du 15ième, le quai de Javel (ceux qui n’ont lu mon impayable roman du dimanche ne peuvent pas comprendre l’opération double chevron et de Javel à Ste Anne), les usines Citroën, passionné de vin. C’est déjà un sacré bon point pour lui dans son dossier. Études de marketing, puis démarrage en magasin, à Fontenay sous Bois, chez Auchan en 1988. La suite : acheteur en produits frais, en épicerie, responsable marketing en vins et spiritueux et, depuis 2002, chef de groupe vins pour Auchan France. Fidélité, expérience, voilà pour moi un interlocuteur de premier niveau à qui je me devais de poser mes 3 Questions qui, comme le souligne à juste raison Olivier Mouchet en recèlent une bonne dizaine. Merci Olivier Mouchet d’être venu sur mes lignes et en bonus " Alone again or " de Love,
1ier Question : C’est une première sur mon espace de liberté, un « grand méchant loup » de la Grande Distribution, accepte de se soumettre à mes « redoutables » questions. Rassurez-vous Olivier Mouchet vous n’êtes pas ici au tribunal des flagrants délires, Desproges est sur son nuage, alors dites-nous comment une grande enseigne comme Auchan distribue ses vins ? Tracez nous le chemin qui va du vigneron au consommateur ? Expliquez-nous votre approche, votre philosophie, et votre vision de l’évolution du secteur ?
Réponse d’Olivier Mouchet :
Votre 1ere question en comportant 3, je vais essayer de synthétiser.
Tout d’abord, pourquoi le vin est un parti pris d’Auchan ? C’est bien sur d’abord par intérêt commercial. En effet, nous sommes convaincus qu’un magasin qui satisfait les attentes de ses client(e)s pour les vins, marque un point déterminant vis-à-vis de concurrents voisins qui s’en désintéresseraient. Par ailleurs, et il ne faut pas le négliger, Auchan est une société familiale, non cotée, dont les valeurs et la convivialité ne sont pas incompatibles avec la culture œnophile.
Avant même de les distribuer, il s’agit de les choisir. Pour cela, j’anime une équipe constituée d’abord de 4 amoureux des vins, chacun spécialisé dans 1 ou plusieurs bassins de production, qu’ils parcourent à longueur d’année pour rencontrer nos fournisseurs et ceux qui pourraient le devenir, qu’ils soient vignerons indépendants, caves coopératives ou négociants. Nous travaillons avec plus de 500 d’entre eux, les vins sont dégustés à chaque millésime, et pour notre « Sélection » (dont je vous sais friand), nous réalisons nous même les assemblages, prioritairement sur cuves.
Nos 5 entrepôts viennent enlever les vins pour les redistribuer dans nos magasins, où l’assortiment proposé est régionalisé, car les clients ne consomment pas du tout les mêmes vins selon qu’ils soient de Dunkerque, Strasbourg, Pau ou Nice.
Concernant le marché, je crois malheureusement que la chute de la consommation en France - en volume - va continuer encore le temps d’une génération, et que nous devons trouver les leviers pour la limiter, tout en faisant en sorte que la valeur, elle, croisse. Cela passe forcement par l’augmentation de la qualité, mais aussi par la promotion de nouveaux instants de consommations, éloignés du sempiternel repas du Dimanche, et encore par la prise de conscience que nos clients sont en majorité des clientes.
2ième Question : Comme vous le savez Olivier Mouchet je suis un grand « adorateur » des marques, des vraies. J’ironise, avec la facilité qui m’est chère, sur les fameuses Marques de Distributeur (MDD) et ce brave Pierre Chanau est passé récemment à ma moulinette. Votre point de vue sur l’émergence de réelles marques nationales dans le secteur du vin m’intéresse et je suis persuadé qu’il intéressera au plus haut point mes lecteurs. En complément, les hard-discounter vont, eux-aussi, lancer des marques, qu’en pensez-vous ? Le moins cher du moins cher a-t-il des limites ?
Réponse d’Olivier Mouchet :
Amateur depuis longtemps, j’ai découvert ce secteur – professionnellement s’entend - il y a presque 10 ans, et au tout début j’avais emmené à lire comme devoirs de vacances le rapport B, qui a été pour moi une excellente introduction à la filière.
Pierre Chanau n’est pas une marque, mais la signature, née en 1977, de la « Sélection Auchan », gamme de 150 vins Français de toutes origines (à cet égard, nous sommes fiers de commercialiser dans toute la France un Pacherenc du Vic Bilh) qui ont en commun une cible qualité prix.
Si, effectivement, une marque se doit d’avoir un positionnement qualité, cela ne suffit pas. Il faut également une promesse, les preuves de cette promesse, des moyens puissants pour la distribuer (ce qu’on appelle une force de vente) et la faire connaître et reconnaître (une communication), sans oublier de la recherche et développement pour préparer le futur.
Il y a très peu de marques en France ayant ces attributs (si l’on excepte les « icones » Bordelaises qui ne sont pas des produits de grande consommation). Et il n’y a pas du tout de « méga marques » capables a elles seules de renverser une tendance de marché grâce à l’innovation et la communication.
Pour bâtir une méga marque, il faut un marché potentiel et des capitaux. La filière viti vinicole manque de capitaux, et ceux qui ont des capitaux jugent sans doute que le potentiel de rémunération de leurs capitaux dans cette filière est insuffisant.
A ce point du débat, je suis sur que certains vont dire que c’est « la faute à la GD ». C’est inexact car la GD n’existe pas. Il y a des entreprises indépendantes et des groupes ; des sociétés régionales ou internationales, des Françaises ou étrangères, des entreprises cotées ou non, des bretonnes, des nordistes, des charentaises, … des centralisées, des décentralisées
Chaque distributeur a ses spécificités, ses avantages, ses défauts, qui sont différents selon les produits que l’on souhaite commercialiser.
En revanche, ce qui est sûr, et vous l’avez démontré, c’est que la filière souffre d’un manque d’organisation et de concentration de son amont (j’y inclus le négoce car c’est notre amont) et d’une concurrence mortifère sur certains segments à bas prix.
3ième Question : Autre sujet qui m’est cher : le mur de vin dans la Grande Distribution : à quoi bon se casser la tête à créer des lignes de produits, en clair à quoi ça sert que Pierre Chanau se décarcasse, pour que les vins ainsi packagés soient dispersés aux quatre coins du rayon au gré des régions, des couleurs, des appellations ? Comment le pousseur de caddie de base s’y retrouve-t-il ? Explorez-vous chez Auchan des pistes nouvelles pour que le rayon vin sorte de sa massification ? Les catalogues des foires aux vins semblent être le summum de l’innovation de votre mode de distribution, alors qu’à leur lecture on se rend compte qu’ils sont bien traditionnels ?
Réponse d’Olivier Mouchet :
L’achat de vins en hyper est anxiogène (je ne l’invente pas, ce terme vient des clientes), du fait de la complexité de l’offre, de la manière « linéaire » de les présenter, de l’absence de conseil et de réassurance.
En dehors des Foires aux vins, qui s’adressent encore majoritairement aux hommes, ce que vous appelez le pousseur de caddie est majoritairement une « pousseuse », dont les clés d’entrée sont, quand on les écoute, et dans l’ordre : un conditionnement, une couleur, un bassin de production au sens large, un prix approximatif … et une occasion qui va provoquer la consommation du vin qu’elle recherche. Vous noterez l’absence de marque et sur un autre axe, de profil organoleptique (je ne veux pas parler de typicité !). Nos axes de travail visent alors à clarifier la présentation des vins, casser la monotonie des linéaires, réassurer l’achat. Quant au conseil, nous essayons de pallier à son absence par de l’information, par exemple avec des pictogrammes indiquant pour chaque vin les mets qu’il accompagnera le mieux. Et contrairement au lieu commun qui assène que nous pratiquons des marges prohibitives, nous n’avons pas les moyens, aujourd’hui, dans une majorité de magasin, d’employer un Conseiller permanent en rayon. Néanmoins, nous développons un programme de formations aux vins, très ambitieux, pour les Chefs de rayon et leurs équipes.
Concernant les catalogues Foire aux vins, vous avez partiellement raison car certains de nos concurrents ont tenté des innovations très intéressantes dans les dernières Foires de printemps, ce qui doit nous aiguillonner pour arrêter le copier/coller.