À l’heure où Jean-Louis Borloo tente de ressusciter le Parti Radical dit Valoisien il me semble important que les jeunes générations sachent que les notables de ce vieux parti pilier de la IIIe République furent les prototypes des élus sachant boire et manger lors des banquets républicains ou ceux des comices agricoles. Afin de ne point tacher leur linge enveloppant leur bedaine ils glissaient d’imposantes serviettes sous leur col de chemise et la déployaient largement.
« Mettre quelqu’un à toutes les sauces » traduit bien dans la langue populaire le goût immodéré des Français pour les sauces. Depuis que Marie-Antoine Carême, le premier véritable grand-chef et codificateur de la cuisine française, le chef des rois et le roi des chefs, imagina une classification des sauces en les divisant en quatre catégories, chacune ayant pour base une « sauce mère » : la sauce allemande (jaune d’œuf et jus de citron), la béchamel (farine et lait), la sauce espagnole (bouillon de viande ou de poisson et roux brun et mirepoix), le velouté (bouillon clair de viande ou de poisson et roux blanc) ces 4 sauces ont constituées la base toutes les autres mais aussi la base de la cuisine française.
L'enseigne du magasin Corcellet (Musée Carnavalet) Au Gourmand Louis Philibert Debucourt
Lorsque Dodin-Bouffant subit sa première attaque de goutte et que Bourboude son médecin lui intime un « Pas de Viande ! » celui-ci explique à Adèle que « Viande n’est pas chair, et le poisson léger, facile à digérer, ne m’est pas interdit. Je n’en abuserai pourtant pas. »
« Et le régime de Dodin se balança désormais entre des aillolis et des fonds d’artichauts farcis, des triples consommés aux quenelles onctueuse et d’incomparables fricassées d’oignons, des cardons sous toutes les formes et des champignons variés, à tous les accommodements, des truffes abondantes et des gratins au fromage, des fondues épaisses et des croustades de laitance. Les céleris et les endives préparées richement, les coulis d’écrevisses, les escargots à la Provençale, les œufs de vanneau à la Du Barry, les quiches et les ramequins, les omelettes aux pointes d’asperges ou au thon, les œufs à la Bressane, aux anchois ou à la Béarnaise, les macaronis au lard, à la Demidoff ou à la sauce Madère, les pommes de terre en pâte, en galette, à la crème, à la barigoule, les risottos, les salades à la Lorraine, à l’Impératrice, à la Lucifer et au Prince de Galles, les concombres à la Poulette, les épinards frits glacés, les aubergines à la Palikare, occupaient dès sept heures la table de Dodin-Bouffant. Il y coula des flots de sauce Bordelaise et Gaillarde, Grand-Veneur et Indienne, Mirepoix et Rouennaise, Sainte-Menehould et à la Sultane... » La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet Marcel Rouff édition Sillage
Dans une édition de 1952 d’un ouvrage Le Monde à table de Doré Ogrizek les sauces sont classées :
1- en Sauces Blanches
2- en Sauces Brunes
3- en Sauces Émulsionnées
4- en Sauces et Apprêts divers
Cuisine riche symbolisée par Fernand Point, héritier d’Escoffier, le triple étoilés (1933) de La Pyramide à Vienne « Du beurre ! Donnez-moi du beurre ! Toujours du beurre » Le grand tournant c’est les 10 commandements de Gault&Millau de 1973 : le 7 et le 8 donnent un coup d’arrêt à la richesse de la chère : « Tu élimineras les sauces riches » et « Tu n’ignoreras pas la diététique ». Si le commandement 7 est explicite pour les sauces le 8 est plus sournois car il met en branle la déification de la forme qui s’attaque bien sûr à une consommation appuyée de vin au déjeuner d’affaires par exemple. Mon affirmation en titre « Le lent déclin de la sauce française accompagne la haute consommation de vin au restaurant » n’est pas un effet de manche mais une réalité. Du côté addition la légèreté dans les assiettes et dans les verres s’est traduite par un alourdissement des douloureuses comme le soulignait avec ironie la critique gastronomique anglaise Elizabeth David « La nouvelle cuisine, hier comme aujourd’hui, désigne une cuisine légère, moins abondante et plus coûteuse. »
Bien évidemment je ne fais pas parti de ceux qui regrettent la cuisine lourde, grasse, baignant dans la sauce, mais je ne suis pas non plus de ceux qui s’esbaudissent face aux préparations chichiteuses en assiette qui une fois ingurgitées vous laissent sur votre faim. J’aime manger à ma faim sans me bâfrer. Je déteste sortir d’un repas avec la sensation de faim. J’ai besoin d’un minimum de lest et de sucres lents. Pire encore que cette histoire « qu’on mangerait aussi avec les yeux » c’est l’horreur absolue de devoir écouter, souvent être même obligé d’interrompre une conversation, pour subir de la part du serveur ou du maître d’hôtel la description du plat qui vient de vous être servi. C’est prétentieux. C’est impoli. C’est chiant. Pour moi la bonne cuisine n’a pas besoin de ce type de VRP. Elle se suffit à elle-même. Si les clients sont demandeurs je n’ai rien contre qu’on les satisfasse mais pour les autres : de grâce silence radio ! La vraie, la grande, la bonne cuisine c’est lorsque les choses ont le goût de ce qu’elles sont (je crois que la maxime est de Curnonsky). J’ai trop de respect pour ce que fait la main, celle du chef et de sa brigade, pour subir ce type de mise en scène vaniteuse. En revanche, pouvoir exprimer sa satisfaction à qui de droit, sans être sollicité m’est toujours apparu comme la moindre des politesses.
Du côté des vins je vais oser une vacherie qui va me mettre à dos les Grands Sommeliers des Restaurants de Haute Gastronomie : j’ai comme le sentiment, qu’à l’image de certains chefs, certains d’entre eux sont plus attentifs à leur renommée médiatique, qu’au service des vins. Comme s’ils étaient là, bardés de leurs médailles comme les hiérarques de l’ex-Armée Rouge, pour justifier l’outrageux coefficient multiplicateur des vins. Bien sûr ma remarque souffre de nombreuses exceptions dont je me ferai un plaisir de souligner l’existence dans de futures chroniques. Si je frappe un peu fort c’est que je déplore trop souvent dans la restauration française en général, quel que soit son statut, que le traitement du vin est à la fois la cinquième roue du carrosse et la vache à lait. Air connu me direz-vous. Oui, mais si ces messieurs les critiques gastronomiques patentés voulaient bien s’intéresser aussi à la carte des vins, au lieu de ne blablater que sur la tortore, les rideaux, la mini-jupe de la serveuse, l’humeur du patron ou le parcours professionnel du chef, je pourrais ne pas psalmodier en boucle les mêmes ritournelles. Vu le poids dans l’addition du vin ils pourraient peut-être s’intéresser un peu aux cochons de payants que nous sommes. Sans faudra-t-il que sur la Toile nous pallions à leur carence !
Sorry, j’allais oublier dans les causes de la chute de la consommation de vins au restaurant le ballon ! Pour ma part je pratique hors la ville « conduit celui qui ne boit pas » (souvent la madame qui ne boit qu’un verre) ou en ville transport en commun ou, ne le dites pas à la maréchaussée : mon vélo.