La tentation de Venise, le maire de Bordeaux, de nouveau Ministre de nos Affaires Étrangères, pris dans la tourmente songea à ce retrait. Faire retraite, s’éloigner de la fureur du moment, de la dictature du paraître, mettre de la distance ou tout bêtement retrouver le goût des choses simples, couper les ponts (à Venise c’est osé comme volonté) : plus de clavier, plus d’écran, plus de SMS, plus d’e-mail et plus du flux de Facebook. Dans ma jeunesse, nos curés, bonnes sœurs et bons frères, nous imposaient des retraites. Je les détestais car loin de nous permettre dans le silence de réfléchir, de nous retirer du monde, les ensoutanés faisaient preuve à notre endroit d’un prosélytisme outrancier. Prendre du recul, partir d’un coup d’aile, se retrouver, dans le grouillement de la cité des Doges gorgée de touristes étiquetés, bruyants et errants en bandes derrière des guides, obsédés du cliché débile, c’est pour moi faire retraite. M’isoler. Nul paradoxe dans ce choix car à Venise, hormis ses monstrueux nœuds touristiques, il est facile de se perdre, de se retrouver seul ou presque. Pas de voitures ! Ici l’Histoire est partout, il suffit de lever le nez, de se poser, de regarder, de pousser des portes, de flâner. C’est un luxe j’en conviens mais je l’assume sans aucune espèce de contrition.
Tout ce long préambule pour vous éclairer sur ma double vie qui d’ailleurs s’apparente bien plus à une valise en carton avec de multiples fonds ou à ce que l’on dénommait autrefois un secrétaire à secrets. Rassurez-vous je ne vais pas vous déballer toute ma vie mais, comme j’ai profité de mon escapade vénitienne pour mettre en ligne en début de semaine dernière deux chroniques : « mais que fait Berthomeau ? » et « qu’est-ce qu’a fait Berthomeau ? », non pour justifier mon activité ou afficher mon glorieux CV mais tout bêtement pour vous dire, chers nouveaux lecteurs, d’où je viens et ce qui fait la trame de mes jours, je vais me laisser aller à quelques confidences. C’est un peu le questionnement de François Audouze en commentaire qui m’y incite. « Pourquoi écrit-il tous les jours ce Berthomeau ? » Quelle motivation ? La réponse facile, échappatoire commode, serait : pour la gloire du vin ! En effet, ma marque de fabrique « Vin&Cie » l’espace de liberté semblerait, à première vue, m’enfermer dans de pures chroniques sur le vin. Tel n’a jamais été mon projet, depuis l’origine, même si le vin reste au centre, mon propos, mes lignes ne s’interdisent aucun chemin qu’il soit de traverse ou, comme ceux de mon enfance bocagère, creux. Les quelques-uns qui me suivent et me supportent depuis l’origine peuvent en témoigner.
Vin&Cie l’espace de liberté doit beaucoup à mes amis du groupe de réflexion stratégique, ce sont eux qui ont accepté de faire un bout de chemin avec moi, de réfléchir, de se remettre en question, de cosigner un document, qui n’est pas mon rapport et qui n’a pas pris une ride. Ils ont pris des coups mais, n’en déplaise au GC récurrent, c’est leur fierté et leur fidélité qui m’a fait chaud au cœur. Dans mon placard, face à la neige de mon écran, dans la solitude domestique où se lever le matin devient vite routine, les deux Jean-Louis surtout, Jean-Marie et Robert aussi, et quelques autres m’ont donné envie de sortir de mon costume terne d’éminence grise pour endosser celui un peu plus chatoyant de mes propres idées, pour les défendre, pour tenter de me faire comprendre, être moi-même. Qu’ils en soient remerciés. Ainsi, petit à petit j’ai ouvert en grand les portes et fenêtres, je me suis laissé aller à une langue plus drue, plus ferme, moins policée. Et surtout moi, le médiateur, le monsieur qui cherche toujours à recoller les morceaux, j’ai pu enfin prendre mes distances avec tous ceux que par facilité je qualifierais « des toujours du bon côté du manche » et de « je ménage ceux qui pourraient me servir ». Chemin faisant je me suis dit que le &Cie n’était pas là que pour faire joli mais constituait un vaste champ où je pouvais semer ce qu’il me plairait. À mon grand étonnement la plupart d’entre vous m’ont suivi. Bien évidemment je ne puis savoir toujours très précisément lesquels mais ce dont je suis sûr c’est que mon lectorat s’est à la fois élargi et enrichi. Et puis, c’est une réalité, je me suis fait de nombreux amis (e) avec qui j’aime partager le pain et le sel. Je ne suis pas allé les chercher : ils sont venu(e)s à moi.
Reste la question récurrente lorsque je rencontre certains d’entre vous : « mais ça vous demande beaucoup de temps ? » La réponse est simple : « le temps je le prends tout le temps pour tout ce j’entreprends » En effet, je suis de ceux qui adorent ne rien faire, flâner, bavasser, rêvasser, mais dès que je m’engage dans un ouvrage je vais au bout quoiqu’il m’en coûte et, en l’occurrence pour mon blog ça ne me coûte rien car c’est du pur plaisir. Quoi de plus excitant que d’écrire ? J’écris quand ça me prends, à n’importe qu’elle heure du jour et de la nuit. L’important dans mon métier comme ici sur mon espace de liberté c’est de rendre sa copie en temps et en heure. Au temps où je faisais le nègre de mes Ministres en écrivant leurs discours je ne pouvais arriver la gueule enfarinée et leur déclarer : je n’ai pas eu le temps ce sera prêt demain. Mon souvenir le plus fort c’est un discours confié à une autre plume que je dus réécrire dans la nuit, à la Préfecture d’Angers, pour un Congrès de la FNSEA, le premier de mon cher Ministre qui arriva à l’ouverture, sans prévenir personne, pour aller s’asseoir au premier rang. Succès assuré ! Je glissais les feuillets manuscrits les uns après les autres sous la porte de la chambre ministérielle. Ce fut sportif mais nos chers syndiqués de la grande maison, qui adorent les gens de gauche, se laissèrent amadouer. Même Georges-Pierre, alors bras droit de Raymond Lacombe, en fut tout estomaqué.
Alors, oui, je vais au gré de mes intuitions qui ne sont pas, loin s’en faut, exclusivement nourries par le vin. Mon parti c’est celui de la curiosité sans exclusive. Lorsque je pars à Venise ce n’est pas pour écumer les bars à vin, les cavistes pour dresser la cartographie de l’offre des vins italiens. Pour ne rien vous cacher dans la cité des Doges je me gave d’abord de peinture : du Tintoret à Marcel Broodthaers en passant par Jackson Pollock et Maurizio Cattelan. Dans les églises, les palazzo, les expos à chaque détour de calle, le Peggy Guggenheim et la Punta Della Dogana de François Pinault... c’est un régal. J’adore l’intimité de la Fondation Peggy Guggenheim, une poignée de visiteurs, m’asseoir dans la salle consacrée à Jackson Pollock dont son Alchemy peint en 1947 avec la technique révolutionnaire du dripping. J’entre en osmose. De lui, James Jonhson Sweeney du comité consulatatif du MOMA écrivait dans une brève introduction d’une de ses expositions, le 8 novembre 1943, « Comme George Sand l’écrivait de Flaubert : « Le talent, la volonté, le génie sont des phénomènes naturels, comme le lac, le volcan, la montagne, le vent, l’étoile. » Le talent de Pollock est volcanique. Il en a le feu. Il est imprévisible. Il est indiscipliné. Il se répand en une prodigalité minérale non encore cristallisée. Il est généreux explosif, brouillon. Mais les jeunes peintres, et notamment les Américains, tendent à être trop prudents dans leurs opinions. Trop souvent le plat a tout le temps de refroidir avant d’être servi. » Je m’en tiens là car je ne veux pas étaler mes émotions esthétiques qui n’intéressent personne. Pour clore cette petite escapade hors les murs du vin un coup de chapeau à François Pinault pour la splendide restauration de l’ancienne douane de Venise : la Punta Della Dogana et une exposition de haute tenue : l’éloge du Doute où j’ai découvert avec émotions les neuf gisants de marbre de Maurizzio Cattelan. Et dire que la friche Renault de l’île Seguin aurait pu être le réceptacle de cette Fondation : vive la bureaucratie française !
Reste que dans ce périple, sans que je ne le cherche, le vin est venu à moi dès le premier jour. Au hasard de mes pas je suis tombé sur un jeune caviste sympathique Zeno Stringa de la vineria do Dai Cancari, dans le quartier San Marco. L’occasion d’une belle découverte d’un vin unique qui fera bien sûr l’objet d’une prochaine chronique. Telle est la vie d’un petit chroniqueur qui folâtre, s’amuse, creuse quand il faut creuser, joue quand il faut jouer, laisse la discussion ouverte, avec toujours une petite idée derrière la tête : faire en sorte que le petit monde du vin sorte de son nombrilisme, de son goût immodéré pour l’entre-soi. En effet, les gens du vin qui plaident face aux prohibitionnistes masqués, pour que soit reconnu au vin un statut de boisson sociable, ne sont guère crédibles face à une opinion publique qui n’y comprend goutte et qui se tamponne comme de sa première chemise des doctes conclusions de nos goutteurs professionnels. Dès que l’on aborde le sujet du vin la plupart de nos interlocuteurs s’excusent de ne rien y connaître. Bravo donc à nous tous pour notre savoir-faire ! Tous ensemble, tous ensemble, continuons sur cette voie... de garage (salut Jean-Luc!)