Pizza outragée, pizza brisée, pizza martyrisée par les hordes de l’agro-alimentaires et les petits faiseurs-livreurs à mobylette pour bâfreurs sur canapé canette de bière incorporée, mais pizza sauvée par nos voisins Napolitains.
Mon hymne à la pizza napolitaine doit tout à l’excellent livre de Marcelle Padovani « Les Napolitains »
« À Naples, il est banal de dire que l’on naît et grandit autour d’une pizza. Hypercompétents en la matière, il arrive aux Napolitains d’exprimer à propos de ce plat typique d’authentiques sentiments de désir, de douleur, de passion, de pragmatisme ou de frustration. Des sentiments que l’on réserve généralement aux rapports avec les êtres humains. »
Alors, il est normal que Naples ait son « Monsieur Pizza » : Gino Sorbillo dont la trattoria au cœur de la vieille ville, Via dei Tribunali, à deux pas du Dôme, est bien plus qu’un restaurant : un lieu de pèlerinage, un laboratoire, un musée, une église et une institution. »
Le roi de Naples, qui « à 39 ans, travaille seize heures par jour pour enfourner 1200 pizzas – dont la plus courante, la margherita, coûte au client dans les 4 euros, et la plus sophistiquée dans les 6 euros. » Enfant de la balle, son commerce prospère depuis 1822, il vit en pleine harmonie avec sa ville. « Regard clair, sourire franc, cheveux coupés, grand par la taille, Gino n’a au premier abord pas grand-chose de napolitain, mais il surprend vite par la synthèse volcanique, toute napolitaine, qu’il réalise entre pratique de la modernité et sens aigu de la souffrance, créativité débridée et obéissance aux traditions. »
Pour preuve sa pizza sucrée, servie en 2005, à Sophia Loren originaire de la région et qui s’y connaît en matière de pizzas. Toutes les apparences d’une classique margherita « bords ondoyants et gonflés, sa tomate rouge et sa blanche mozzarella… » En fait « sa base était une pâte feuilletée, sa sauce tomate une crème de fraises des bois, et sa mozzarella d’inattendues fleurs d’oranger. Seules les deux feuilles de basilic étaient identiques à la margherita originale. » Voir la seconde et la troisième vidéo où est évoqué le film de Vittorio de Sica L'Or de Naples.
Mais, foin de nouveauté, « aucune pizza ne ressemble à une autre. De la même manière qu’aucun homme ne descend jamais le même fleuve, selon l’expression d’Héraclite d’Éphèse, il ne mangera pas davantage la même pizza. »
« Facile à réaliser, mais seulement en apparence : c’est en tout cas ce que l’on ressent lorsqu’on regarde le pizzaiolo étaler sa pâte avec douceur en évitant de trop la manipuler (car même la chaleur de la main en modifie la texture), la garnir avec le doigté ancestral, la déposer sur une pelle en bois, avant de la passer brièvement au four. »
Alors comment réussir une bonne pizza ?
Elle n’a ni besoin de l’air, ni de l’eau ou du soleil de Naples. « Il suffit d’une bonne farine de froment venue d’une bonne entreprise agricole, une mozzarella de la campagne napolitaine, de l’huile extra-vierge, des tomates bien mûres ou une sauce tomate pas top liquide ; il faut faire lever la pâte pendant vingt-quatre heures, l’étaler sur un diamètre d’environ trente-cinq centimètres. Mieux vaut utiliser du lieveto madre, explique Gino Sorbillo, un « levain mère » fait de de farine fermentée pendant 48 heures dans une eau qui sera ensuite filtrée, la mixture étant ensuite mélangée à nouveau à de la farine de froment et de l’eau fraîche dans une proportion de 100g de levain pour 200g de farine. Travaillée pendant 40 jours en ajoutant chaque jour de la farine, la pâte devient un excellent levain au bout de ce processus complexe. »
Garnie puis passé au four, jamais plus d’une minute, une minute et demi, la pizza doit selon Gino Sorbillo avoir « un aspect harmonieux, franc du collier, avec des bords réguliers, bien gonflés et bien dorés, mais sans trop de trous. Au toucher, elle doit se révéler souple et pliable, mais pas caoutchouteuse ou élastique, jamais rigide ou croquante en tout cas. Elle doit exhaler un parfum franc, presque aphrodisiaque, et chatouiller le palais avec sa mozzarella non filandreuse, non chewing-gommeuse et non desséchée. »
« La pizza est un droit populaire ! » avec elle on ne plaisante pas, Gino Sorbillo se sent, l’une des mémoires fondamentales de Naples. Un traditionnaliste innovant. »