De mon temps, comme disaient les vieux dans ma Vendée crottée lorsqu’ils voulaient stigmatiser l’irruption du progrès, les mogettes, mojhette ou mojette, se cantonnaient dans le frichti du populo. Cuites dans un pot en terre posé sur un trépied au milieu de l’âtre, elles accompagnaient chaudes une tranche de lard ou de jambon sec. Pour le petit déjeuner elles se mangeaient tièdes ou froides sur une belle tartine de pain embeurrée. L’important bien sûr pour l’arome des mogettes : l’ail ! La mogette de mon temps était un haricot blanc sec de l’espèce Phaseolus vulgaris, également appelé « lingot ». L’autre variété, le coco, rendue célèbre par l’AOC Coco ce Paimpol, était aussi cultivée. La mogette de Vendée a obtenu le 9 octobre 2010 le label européen IGP link Comme vous le savez je ne suis pas très fan de ce grand fourre-tout de tout mais « on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ».
La mogette n’était pas qu’un aliment dans mon bocage, elle remplissait une fonction sociale à l’occasion des veillées. Dans mon enfance la télévision n’avait pas pointé sa face lisse dans les métairies alors au cours des longues soirées d’hiver, après le souper, les gens se rassemblaient pour la veillée. Pour s’occuper soit ils jouaient aux cartes avec un petit tas de mogettes pour chaque joueur qui, à chaque fois qu’il perdait, haricotait c’est-à-dire concédait un haricot à celui qui le lui avait fait perdre (ne me demandez pas la règle précise du jeu je n’en ai plus souvenir mais ça se jouait avec un jeu de 54 cartes), soit ils triaient les mogettes en se racontant des histoires. On se contentait de peu en ce temps-là. Reste un sujet totalement incorrect la force et la fragrance du vent de mogettes : violente et pestilente, une horreur absolue !
Souvenir, souvenir, quand tu nous tiens mais que voulez-vous la mogette de basse extraction est maintenant dans le vent – désolé ! – elle accède au Saint des Saints des tables de la Haute Cuisine. C’est le plus souvent un coco, sans doute pour l’esthétique car les chefs raffolent de présentations très élaborées en assiette mais aussi pour sa texture plus fine, moins farineuse. La mogette donc est utilisée comme support d’entrées plutôt que comme accompagnement de plat de résistance. Normal beaucoup de grands chefs, tout à leurs chichis de présentation, semblent avoir pris en grippe l’accompagnement, le bon lest qui fait que l’on quitte la table sans la sensation de faim. Au poids des sauces s’est substitué le poids de l’addition inversement proportionnel à la légèreté des mets. Bref, telle la madeleine de Marcel Proust, la mogette revisitée me ravit.
Pour preuve les superbes mogettes à la Poutargue que j’ai apprécié au 21 de Paul Minchelli le soir de mes 63 balais. « Le meilleur restaurant de poissons de Paris selon mon ami Bruno Verjus » Il fait simple, le créateur du Duc, mais Dieu que c’est bon ! Un seul et grand reproche : sa carte de vins, courtaude et pas à la hauteur de l’excellence de la nourriture. Alors je risque un conseil à ceux d’entre vous qui faites de beaux, de petits et de grands vins : allez donc voir Didier, le sympathique chef de salle du 21 pour lui proposer d’enrichir un peu sa carte de vins. Pour motiver plus encore Paul Minchelli, qui n’est pas un homme facile : de ma part c’est un compliment, risquez-vous aussi à me dire ce que vous boiriez avec ses merveilleuses « mogettes à la Poutargue ».
21, au 21, rue Mazarine, Paris VIe. Tél. : 01 46 33 76 90
Fermé dimanche et lundi, ouvert du mardi au samedi de 12 heures à 14 heures et de 19 h 30 à 22 h 30.
Pour la Poutargue se reporter à la chronique