« C’est un grand agrément que la diversité /
Nous sommes bien comme nous sommes/
Donnez le même esprit aux hommes /
Vous ôtez tout le sel de la société /
L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »
La célèbre chute de la fable d’Antoine Houdar de la Motte (1719) fait oublier les vers qui la précèdent. Alors s’il est un thème populaire à l’heure de la globalisation du monde c’est bien celui de l’uniformité liée à la consommation de masse.
Dans le vin existe-t-il aussi un risque d’uniformisation ? Dans leur Atlas mondial des Vins, Raphaël Schirmer et Hélène Vélasco-Graciet répondent à propos de la concentration financière contribuant à l’émergence de groupes vinicoles qui ne raisonnent qu’en termes de marques mondiales « cette concentration financière annonce-t-elle, à terme, une homogénéisation des vins et une inféodation de la production à la sphère financière ? Parions que les mouvements de résistance aux phénomènes en cours grandiront, venant d’une part des interprofessions et des syndicats professionnels, et d’autre part, des entrepreneurs privés anciens ou nouveaux, plus enclins à refuser la production de vins « apatrides ».
Pour ma part, bien plus qu’un mouvement de résistance, surtout de la part des zinzins professionnels, c’est l’évolution de la masse des nouveaux consommateurs, leur demande, qui permettra de préserver la diversité. Dans l’univers impitoyable des marques mondiales le nouveau vieillit vite. La mode est grande consommatrice de nouveauté et l’ancrage sur les valeurs sûres reste la meilleure garantie de la pérennité. Cessons de raisonner sur de courtes périodes, arrêtons de porter sur le passé des regards angéliques, laissons le temps aux nouveaux arrivants d’entrer dans l’univers du vin et de se forger leur culture.
Mais comme le mois d’août se prête plutôt à la légèreté plus qu’à la prise de tête je vous propose de lire un texte de Maurice Des Ombiaux sur « La mode et les vins » c’est rafraîchissant et ça remet quelques idées qui traînent un peu partout à leur juste place : le cimetière des idées reçues.
« Il n’est pas inutile de parler ici de la mode et les vins, car il y a une mode pour les vins comme pour tout ce qui se porte et se consomme. En ce qui concerne les vins, cela s’appelle quelquefois goût au lieu de mode, mais c’est tout comme. Si, pour le champagne, il y a toujours sur les prospectus et les étiquettes : goût russe, goût français, goût anglais, goût américain, la mode a maintenant dépassé l’extra dry pour arriver au brut et au nature.
Il ne faut s’en étonner ni se plaindre, car pour faire ces champagnes, qui sont souvent les champagnes d’années, il faut des grands vins de toute pureté.
Les grands vins n’ont peut-être plus la variété qu’ils avaient autrefois. Ils recherchent davantage une tenue qui les rapproche d’un type bien déterminé.
Ainsi le Volnay et le Pommard, dont parlent les vieux dictons, n’étaient pas du tout les vins que nous connaissons aujourd’hui.
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle on faisait les bourgognes beaucoup plus légers. On n’ajoutait rien au raisin pour influencer la qualité du vin. Ce n’est que vers 1815 qu’on essaya par l’addition de sucre, d’augmenter la richesse alcoolique du vin.
Sous l’ancien régime, on faisait, dans la Côte d’Or, des vins de paille, des vins cuits et des vin fous.
Le vin fou s’obtenait en mettant dans une futaille bien cerclée de fer, du moût de raisin tiré d’une cuve non foulée. Ce vin faisait toute sa fermentation dans le tonneau, était très capiteux et remplaçait les vins étrangers.
Presque tous les vignerons ou propriétaires faisaient une certaine quantité de vin cuit qu’on désignait sous le nom de Galant depuis le XIIIe siècle. Il se préparait avec des raisins blancs choisis un par un.
En ce temps les vins de Pommard et de Volnay n’avaient qu’une teinte très légère, qu’on nommait œil de perdrix, au lieu du rubis qu’on leur connaît à présent, comme à tous les nectars rouges de la Côte d’Or. Ce n’étaient pas des vins blancs, mais légèrement rosés tout en gardant un reflet verdâtre. Quelle délicatesse de ton pour un peintre !
Pour cela, il y avait dans toutes vignes une partie plantée de pineaux blancs ; et l’on mettait alternativement dans le pressoir un lit de paille et un lit de raisin, dans la crainte que le vin fût encore trop rouge. Et on laissait à peine cuver le vin.
Pezerolle de Montjeu, au XVIIIe siècle, écrit qu’il a été le dernier à faire arracher les raisins blancs qui étaient encore dans la partie supérieure de ses vignes, selon l’ancienne coutume. Il déplore ce changement amené par la mode ; mais puisque, dit-il, l’acheteur préfère la couleur et la durée à la finesse, il faut le contenter autant que le climat peut le permettre.
Ainsi s’explique le vieux dicton, aujourd’hui sans signification, qui renseignait le bourgogne comme vin d’été tandis que le bordeaux était un vin d’hiver.
Traité selon les méthodes actuelles, le bourgogne, de plus en plus corsé, n’a plus rien de particulièrement estival. »