« L’araignée, ce morceau de gourmets qui est au bœuf ce que le sot-l’y-laisse est au poulet grillé... » est le sésame ouvre-toi d’André le jeune boucher de la boucherie Plomeur de Quimper « car c’était cette étroite languette persillée, aussi ferme que tendre, d’un rouge aussi foncé que le secret des lèvres, moelleuse, goûteuse, juteuse à souhait, qui donnait le signal » En effet, même « si physiquement rien ne disposait le si jeune boucher à autant de succès, dans ses mains la chair féminine se mettait à chanter. » La procédure se répétait chaque jour et « chaque fois que les gros doigts d’André aux ongles bien rongés, commençaient à tailler habilement la macreuse, les onglets, les bavettes, les prétendantes se massaient au-dessus du comptoir pour avoir les meilleurs morceaux, en exhibant les leurs. »
Mais à quoi diable l’araignée donnait-elle le signal ? Au péché de la chair bien sûr car « celle à qui était échu le morceau de barbaque dans le papier journal savait qu’entre midi et deux... » André retrouvait l’heureuse élue derrière la cathédrale où il suivait « jusque chez elle l’élue à l’araignée ». Ceci est le début de la fable savoureuse contée par Martin Provost dans Bifteck chez Phébus 12€. La suite est du même jus, jubilatoire et tendre : sensualité et paternité... Si ce matin j’aborde la chair par le versant péché de chair c’est la « faute » à l’expression des goûts carnés de notre Charlier. Il aime la hampe ! Moi aussi ! Toujours précis, documenté, il la décrit : « muscle strié classique, morceau de diaphragme en fait ? » Il l’avait pour son déjeuner du samedi préparée grillée et muscadée mais ne l’avait point, faute aux pandores routiers, arrosée de vin. Pertinemment notre avaleur de hampe – pas mal non ça sonne comme astiqueur – faisait remarquer que ce morceau était en notre beau pays classé en abats ce qui à l’avantage d’en trouver à la fois chez les tripiers et les bouchers. Ces derniers la planquent car la hampe est visuellement du genre chiffon sale de garagiste, brunâtre, parente des bandes molletières ou des bas de contention pour femmes variqueuses, donc peu ragoutantes aux yeux des ménagères de plus de 50 ans.
Moi j’adore la hampe de bœuf (il en existe aussi de veau) 250 g de viande bien rassise, quasi-noire, acidulée, forte, grillée ou poêlée au beurre – dans ce cas je passe mes pâtes dans le jus de cuisson – pour un plaisir de flibustier. Cependant face à l’abstinence vinique de mon collègue je me trouve aujourd’hui dans les affres du choix du liquide qui va avec cette nourriture, qui s’apparente au steak des Tartares attendri sous la selle, donc vachement coriace. D’ordinaire je sais ce que je bois avec ma hampe, du lourd en verre Duralex, mais là, troublé, je me vois dans l’obligation de vous demander : que tèteriez-vous avec votre hampe ? Du cidre brut de Quimper en souvenir de l’André de la boucherie Plomeur ou un jus de treille du style Alicante Bouschet ? Ne m’en veuillez pas je n’ai pu m’en empêcher, en effet j’ai l’âme si noire que je vais devoir passer chez le teinturier...