Sophie ce matin, profitant de mon transport hors des limites du périphérique parisien pour une belle journée en Beaujolais, effleure, en entame de sa chronique, d’une plume légère, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître pour mieux nous surprendre avec la découverte d’un enfant du Beaujolais qui retrouve ses racines profondes. Alors, avant de laisser les paroles à Sophie, mon esprit vagabond vagabonde sur la musique de David Bowie l’androgyne, l’extraordinaire major Jack Celliers de Furyo, le chanteur protéiforme jamais en reste d’une provocation, le Bowie apaisé de Wild is the wind... Souvenirs... Souvenirs. Comme l’écrivait récemment Hervé Bizeul dans une chronique « Basses pressions en perspective, moral plus 10 points, sentiment printanier que tout est à nouveau possible, la libido qui remonte avec les jupes qui raccourcissent, un peu de Charles Trenet et, tout d’un coup, on se dit que bosser dans le vin, d’un côté ou d’un autre la barrière est une bien belle chose. N’est-ce pas Jacques Berthomeau »
Parfaite antithèse que le nom de baptême de cette cuvée ! L’année 1947 est celle du plan Marshall, de la naissance de David Bowie, de l’indépendance de l’Inde, de la création de Force Ouvrière, de la première représentation à New York de la pièce de Tennessee Williams « Un tramway nommé désir » et celle… du premier millésime de cette très vieille vigne de Gamay lovée au cœur du Beaujolais.
De tels voyages vertigineux dans le temps font partie de la magie du vin et ne sont pas aussi insolites qu’il n’y paraît. En effet, ils marquent souvent l’immuable constance d’un savoir-faire, la fidélité sans faille à une tradition en affinité avec l’expression d’un terroir et d’un cépage. Et pourtant, le millésime 2006 de cette vigne plantée en 1944 dessine un visage du Gamay que vous n’avez, j’en suis sûre, jamais approché. Non pas tant que sa couleur, rouge profond presque noir, ou son nez complexe exhalant des notes douces de chocolat et de griottes mûres vous emmènent dans des contrées gustatives plus sudistes que nordistes… mais sa densité en bouche, sa puissance souple et sphérique vous éloignent définitivement du Beaujolais-village gouleyant et festif que vous avez coutume de rencontrer au moins une fois l’an.
Et si le Gamay pouvait bien être le cépage du plus grand vin des petits vins de France ?
Pour cela point de macération carbonique… Le pari de Laurent et Carine Jambon, le frère et la sœur, est bien de réinventer le Gamay de leurs grands-parents, d’explorer des pans méconnus de la chair de ce cépage.
Faut-il rappeler que le Gamay, en Cru ou Village, est toujours vinifié, ici, grappes entières (sans égrappage). La macération carbonique, pratique traditionnelle en Beaujolais, consiste à favoriser une première phase de fermentation, sans oxygène et surtout sans l’intervention des levures (elles prennent le relais après). Des mécanismes enzymatiques intracellulaires interviennent dans la baie de raisin pour transformer l’acide malique en éthanol et conduisent à la formation de composés aromatiques spécifiques que l’œnologie n’a pas encore parfaitement élucidés au demeurant… des notes de kirsch, de cerise, de noyau qui font le charme si gourmand des vins primeurs. Ces transformations chimiques particulières marquent le profil des vins : souplesse, fruité, fluidité et moindre extraction tannique.
De ses classes à l’institut œnologique de Dijon, Laurent a vraisemblablement conclu que le Gamay, fils du croisement entre le Gouais et le Pinot noir, pouvait exprimer des qualités variétales supérieures avec un mode de vinification tourné vers l’extraction plus poussée de ses pellicules et un mode d’élevage appliqué aux grands vins de Bourgogne. Un choix de vendange à parfaite maturité, un égrappage total, un travail continu sur la matière (pigeages notamment), une cuvaison longue, un élevage bois de 12 mois (précis dans la proportion fûts neufs et fûts d’un ou deux vins), une fermentation malolactique lente, très lente, voire retardée…
Le résultat en est un vin étonnant, atypique, parfaitement équilibré entre fraîcheur et maturité, densité et fluidité. Une digestibilité parfaite pour une expression (la vraie ?) du Gamay encore à découvrir. Coup de chapeau à ces jeunes vignerons qui ont fait de leur retour au domaine familial un choix de passion et une vision de raison… bien loin du défaitisme économique résigné parfois croisé dans cette belle région viticole. Et si Carine pétille de gaieté en évoquant le Beaujolais Nouveau comme la fête des anciens, comme l’étendard du Beaujolais dans le monde et comme le régal d’automne pour accompagner le saucisson et les marrons grillés, ne serait-il pas exaltant de parler d’un Nouveau Beaujolais ?
Les commentaires de dégustation http://www.autrementvin.com/vins/7
Pour trouver ce vin allez : Les Caves du Roy 31 rue Simart 75018 PARIS