Jean-Louis Denois, je ne le connais pas. Je n'ai jamais goûté ses vins. J’ai reçu son texte via : Michèle Piron-Soulat qui indique que « cet anticonformiste, innovateur et toujours curieux qui navigue en dehors des chemins balisés, fut le pionnier à Limoux du cépage Pinot noir et des grands vins blancs de Chardonnay, mais aussi des Gewurztraminer et Riesling, tout d’abord interdits, condamnés à l’arrachage, puis finalement aujourd’hui autorisés et primés dans tout le Languedoc. » C’est un vigneron établi - 11300Roquetaillade www.jldenois.com
- En 2009 la totalité de son domaine est convertie en bio.
- En 2013 il prend une fois de plus position :
« Produire en bio est certes bon pour la planète, l’environnement, nos sols, notre eau, mais ne faut-il pas aller plus loin ? Le « sans sulfites » est bon en plus pour notre santé ».
Chez ce fils et petit-fils de vigneron depuis 6 générations, la parole se transforme toujours rapidement en actes.
Ainsi il nous raconte comment il a été interpellé par une de ses lectures et ce qui s’en est suivi. »
Je vous livre son point de vue, sans commentaire, même si celui-ci, comme souvent dans les débats actuels, péremptoire et parfois dépourvu de nuances. Sa conception du vin, somme toute classique, vaut la peine d’être exposée et défendue avec une argumentation rationnelle mais pas forcément convaincante.
« L’été dernier, j’ai découvert l’excellent livre de l’œnologue alsacien Arnaud IMMELÉ, "Les grands vins sans sulfites" qui m’a ouvert l’esprit vers d’autres pratiques possibles et donné l’impulsion à l’aube des vendanges 2012 de pratiquer quelques essais pour réaliser deux cuvées de vins tranquilles sans sulfites : un rouge et un blanc » !
Oui, il est possible d’élaborer des vins sans sulfites sérieux et stables, nets, fruités, clairs et limpides, séduisants et stabilisés par des méthodes douces, physiques et biologiques, et bien sûr sans déviation, goûts bizarre troubles ou tout autre défaut qui interpellent tout dégustateur de bon sens, jamais je ne me suis permis de proposer à la vente ni même d’embouteiller un vin avec un défaut visible.
Je me refuse à appeler mes vins des «nature » tant ce mot a été gâché par des produits venus d’une autre planète que celle du bon vin. Il n’y a aucun intérêt à faire boire à nos clients des vins nature s’ils sont oxydés, piqués, malades et défectueux, c’est suicidaire pour le monde et la civilisation du vin et je m’insurge contre ce style dégénéré…
On n’a pas d’excuses aujourd’hui à ne pas utiliser les méthodes physiques et les outils à notre disposition. Refuser la technologie et les connaissances acquises depuis 50 ans, qui permettent de sublimer les vins plutôt que de les laisser s’abîmer, c’est comme refuser le frigo pour retourner au saloir et à la viande fumée.
Ce n’est donc pas sans rien faire, ni en « laissant seule faire la nature » que nous sommes arrivés à ce résultat, et c’est bien le rôle de l’homme que d’intervenir et la guider.
J’ai consacré à ce projet mes plus belles vignes du Haut Fenouillet, acquises en 2006, converties en Bio,… au plus haut du Val d’Agly, le nouvel eldorado du Roussillon, un vignoble frais entre Corbières et Pyrénées, et grâce à des soins extrêmes, un véritable protocole de grand cru des vignes à la cave, j’ai réalisé ces deux beaux vins 2012, qui expriment bien le style des vins sans sulfites : ils sont plus ronds, soyeux, sans angles ni dureté, et aux sensations tactiles veloutées, avec une excellente buvabilité.
Le point de vue d’un vigneron-éleveur sur des questions cruciales trop souvent détournées et des tabous éludés :
La baisse puis la suppression du SO² est une évolution inéluctable mais qui va déranger, bouleverser le monde du vin, côté producteurs, bien sûr, qui vont freiner des deux pieds et soulever tout un tas d’impossibilités. C’est un sujet tabou qui déclenchera d’immenses polémiques s’il devait être appliqué, car on touche, avec l’alcool aux deux points sensibles et les désagréments réels du vin !
Mais ce sont de vrais sujets, bien plus que de récolter un jour fruit ou racine ou l’utilisation du soufre volcanique dans les vignes, bref un sujet de fond.
Supprimons le premier et réduisons le second en buvant bon avec modération.
Le SO² reste le seul additif toxique autorisé en œnologie.
Si on en demandait aujourd’hui l’agrément pour un usage nouveau, il serait refusé.
Il est paradoxal que le cahier des charges Demeter par exemple ait conservé l’usage du SO² alors qu’il condamne l’ajout d’intrants biologiques et sans inconvénients tels que les levures sans aucun danger pour la consommation humaine.
Son usage est traditionnel et c’est là où réside le problème : de mauvaises habitudes, du laxisme de l’avoir généralisé et sans cesse augmenté. C’est le refus du progrès et du changement, et des efforts, que de refuser d’en réduire l’usage.
Aucun autre produit utilisé en œnologie n’est dangereux. Les levures qui sont interdites en biodynamie et critiquées par les fervents défenseurs des vins natures peuvent se manger à la cuillère, elles ont un bon gout de pain frais et sont même favorables à notre transit intestinal (Idem ultra levure). On ne peut pas en dire autant du SO² qui reste pourtant autorisé.
La charte Bio n’interdit pas la chaptalisation, c’est un comble puisqu’il s’agit d’un intrant complètement exogène au raisin (issu de la betterave) ou lorsqu’il est bio : du sucre de canne importé du Brésil, ces apports étant la conséquence de déséquilibres profonds dans des vignes tournées plus vers la productivité que la qualité ….cherchez l’erreur.
Je serais moins choqué de laisser pratiquer le mouillage –raisonnable, déclaré, et à l’eau de pluie- dans nos raisins du sud parfois déséquilibrés par des canicules. C’est un élément naturel qui nous vient du ciel et pourrait parfois rétablir un meilleur équilibre. Pratiquer une telle opération aujourd’hui conduirait tout droit au tribunal alors qu’enrichir pour compenser des excès de rendement est autorisé par décret.
Le bio ne change pas le goût du vin
Produire en bio est une démarche écologique pour obtenir des raisins proprement en limitant l’impact environnemental qui comme chacun le sait est devenu insupportable dans les vignobles, et pour l’image du vin. Mais ça n’a pas d’impact sur le goût du vin. Cependant, comme on peut le constater en dégustant une journée au salon Millésime bio, il y a un style bio avec moins d’excès : de bois, de surextraction, de fruité extravagant, de réduction.
C’est probablement le résultat d’une éthique, d’un recentrage vers l’essentiel, ceci n’est qu’une tendance qui a ses exceptions.
La vinification sans sulfite change le goût du vin :
Par voie de conséquence parce que les malos sont faites, puisque non bloquées, mais aussi, le SO² agit comme un masque durcissant l’acidité des blancs et les tanins des rouges, et, sans ce masque, les vins sont plus soyeux, veloutés, présentent des sensations tactiles douces. Le fruit est net, pur comme sur une cuve en novembre. L’art est de conserver cette pureté aromatique intacte dans le vin embouteillé, en travaillant très proprement et en éliminant les bactéries qui restent présentes puisque non détruites par l’action bactéricide puissante du SO². Le passage en fût se doit d’être limité en sans sulfites et on ne peut obtenir de vins très boisés sans sulfites, en tout cas, ce n’est pas l’esprit, et on ne va pas s’en plaindre.
Les mauvais goûts des vins nature ne sont pas le fait de l’absence de SO² ou du bio, mais les conséquences d’un laxisme, d’un manque d’hygiène et de conscience professionnelle, un manque ou l’absence d’analyses, de suivi œnologique, et probablement de connaissances. Ou la foi naïve dans un rêve d’absolu et de laisser faire la nature. Dans les deux cas, c’est un gros « foutage de gueule » du consommateur et l’anéantissement de l’image du vin, véritable reflet d’une civilisation et de décennies de travail patient.
Méfiez-vous de l’intégrisme du «0 intrants » qui ne mène nulle part : « Je ne fais rien, je n’ajoute rien, je laisse faire la Nature … ! », c’est bien évidemment n’importe quoi !
Le vin n’est pas un produit naturel, un fruit qui se cueille à l’arbre, il est le résultat du travail de l’homme, d’une méthode et d’interventions précises, rigoureuses. Le vinificateur bio se doit, comme le fait le vigneron bio à la vigne, de remplacer les intrants chimiques par la biologie et des méthodes physiques douces.
Non, comme dans l’éducation des enfants, le « laisser faire seule la nature » ne fonctionne pas.
Le destin naturel d’un jus de raisin abandonné à lui-même est le vinaigre et la décomposition.
Plus qu’aucune autre construction naturelle, un bon vin nature doit être guidé par l’homme.
Pour survivre dans la jungle de ce monde industrialisé, un bon vigneron se doit de produire un bon vin authentique, le meilleur possible en fonction de ses impératifs de marché et qui exprime avant tout la typicité climatique du lieu, de la région dans laquelle le vin est produit et c’est tout ! Ce devrait être tout !
Le corporatisme, les AOC telles qu’elles existent dans le sud de la France qui dictent des interdits et fixent des limites plus protectionnistes que cohérentes avec les possibilités réelles du terroir, n’ont plus aucun intérêt.
C’est pourquoi ici, de si nombreux vignerons sérieux qui les avaient déjà quittées au profit des vins de Pays s’engouffrent aujourd’hui dans les Vins de France.
Non, je n’ai pas utilisé du tout de SO² pour faire mes « vins sans sulfite » et il n’y en a pas non plus « qui a été produit par les levures », autre plaisanterie qu’il y aurait lieu d’expliquer et de démystifier.
Ce sont certaines «mauvaises levures sauvages de la nature » qui peuvent produire du SO². Le recours aux levures indigènes est complètement aléatoire et ne peut s’envisager qu’avec plusieurs utilisations de bactéricide tel que le SO² pour faire du ménage ou alors on a des développements bactériens qui génèrent des mauvais goûts. Au contraire, les levures sectionnées l’ont été entre autre sur ce critère et la plupart ne produisent pas de SO². Certaines sont même capables d’en consommer dans leur métabolisme. Ce sont des caractéristiques naturelles de certaines espèces patiemment sélectionnées comme on le fit jadis pour obtenir une race de chien de chasse ou au contraire gardien de troupeau. Ce ne sont pas pour autant des OGM !
Je vinifie comme on cuisine : je nettoie, je pèse, je mesure, je surveille et veille à obtenir une stabilité par le contrôle de la microbiologie du vin. Je m’inscris dans une démarche rationnelle, écologique, raisonnée et soucieuse avant tout de qualité et de la santé des consommateurs. C’est pourquoi je revendique haut et fort l’origine précise de mes vins sur l’étiquette sans pour autant utiliser d’AOC ou d’IGP.
La seule disponible pour mes vignes de Saint Paul est «l’IGP Côtes catalanes », un bien joli nom pour un rosé et accompagner des sardines un jour d’été dans le port de Collioure, mais qui ne correspond pas du tout à mon vignoble frais du haut Val d’Agly.
Comme en cuisine, c’est avant tout la qualité de la matière première qui est primordiale, avec un raisin parfaitement sain car trié à la main, et vendangé à maturité optimale et une acidité harmonieuse, je n’ai pas vraiment besoin de sulfites. Je veux faire des vins nature guidés par l’homme ! link