Ce matin au lever du jour, sitôt douché, j'enfile ma plus belle chemise au col empesé, je passe mon costar bleu de dégustateur imposteur et, chaussant mes Richelieu lustrées, je me hâte vers la gare pour filer vers Bordeaux où, deux jours durant, je vais me faire des lignes et des lignes de châteaux estampillés GCC. Je ne geins point, j'assume ! Cependant pour ne pas renier mes basses origines j'ai décidé de chroniquer sur le cassoulet.
Au temps de l’Antoine Verdale, l’avant-match du Tournoi des V, au restaurant de Roland*, toute une peuplade, dont j’étais, sacrifiait au rituel « du dieu de la cuisine occitane » au dire de Prosper Montagné, le Cassoulet, ici de Castelnaudary qui fait partie de la Trinité de Montagné « Toulouse, Castelnaudary, Carcassonne ». Dans un temps encore plus lointain, les signatures de Cuisine et Vins de France, dont celle de Curnonsky, dans un numéro centré sur la Sixième Foire Internationale de la vigne et du vin de Montpellier (octobre 1954), rendaient hommage à Prosper Montagné. Certes le style un peu désuet, ampoulé, parfois grandiloquent, masculin en diable, très femmes au foyer, est un peu daté mais ces gens-là savaient conter des histoires et sur le versant vin ne nous gavaient pas de leurs notes ou commentaires.
* Roland dans la langue snob Roland Garros, comme Ferret pour Cap Ferret...
Simon Arbelot dans le portrait qu’il esquisse de « Prosper Montagné homme d’Occitanie » écrit de bien belles choses.
« Il reste le descendant d’une lignée d’aubergistes et de maîtres bouchers, initié dès son enfance aux bonnes choses de la table dans ce pays de Cocagne qu’est l’Occitanie.
Il fallait voir avec quelle émotion il parlait de ses souvenirs d’enfance à table, des crêpes et des oreillettes du Carnaval, des escargots dans les guinguettes de la Cité de Carcassonne, des grandes miches de pain « Las micos resquitaban » qu’on mangeait en buvant du vin nouveau, de la daube à Noël, de la brandade du Vendredi Saint et du gâteau de Limoux accompagné de la pétillante blanquette.
Ah !s’il avait eu le temps, Prosper Montagné aurait appris aux Parisiens à manger l’ail à la manière de son pays, l’aïoli d’abord, la brandade aussi, bien sûr et, enfin, cet extraordinaire et peu connue « pistache de mouton » qui se prépare avec un gigot et cent gousses d’ail, pas une de moins, le tout mijoté des heures dans un coulis onctueux. Et pour ceux qui n’ont pas le temps d’attendre, Montagné aurait conseillé une tranche de pain bis, grillée, fortement frottée d’ail et assaisonnée de sel et force de poivre. Notre vieux chapon ! Avec un verre de Picpoul. »
Curnonsky Prince élu des Gastronomes y allait lui de son anecdote.
« Et, à propos du cassoulet, j’oserai rappeler la jolie anecdote qu’aimait à raconter le célèbre cuisinier Prosper Montagné, ce Languedocien, lui aussi, puisque natif de Carcassonne.
Comme il se promenait un beau matin dans sa bonne ville, il s’avisa qu’il avait besoin d’une paire de souliers.
Il se rendit au magasin tenu par le meilleur cordonnier local, et sur la devanture strictement abaissée, il lut sur une vaste pancarte : « Fermé pour cause de cassoulet »
Reste le dernier mot, celui des vins du Languedoc, défendus par Maurice Chauvet Président de la Fédération des Syndicats d’Initiative du Languedoc-Rouergue-Roussillon.
« Et les vins, dites-vous ? ah ! les vins, c’est là que je vous attends. Il faut, ici encore, détruire une légende. Celle du « gros rouge », produit exclusif d’une viticulture industrialisée. Le « gros rouge » ? Bien sûr qu’il existe. C’est lui qui fait la richesse du pays. Mais il ‘est heureusement pas seul, et quelques gentilshommes d’appellation contrôlée, voire quelques chevalier des VDQS, accrochent des blasons assez rutilants sur la draperie lie-de-vin qui s’étale dans la plaine.
Car, tout de même, Côtes du Rhône, Tavel, Clairettes, Saint-Georges, Minervois, Costières, Corbières, Fitou, Frontignan, Lunel, sans omettre la Blanquette de Limoux, sont aussi des vins Languedociens. Il faudrait ajouter encore à cette brève liste une bonne vingtaine de crus de qualité, parmi lesquels les vins de Langlade, près de Nîmes, que les connaisseurs classaient encore, il y a un siècle, immédiatement après les grands Bourgognes, at qui n’a rien perdu, je vous l’assure de ses qualités.
Quand vous passerez par Narbonne, essayez de boire un rouge du »Quatourze » ou un blanc de la Clape : vous m’en direz des nouvelles ; à moins que vous ne préfériez un vin de La Palme, dont le trouvère anglo-normand Pierre d’Angély chantait les louanges au XIVe siècle.
A Montpellier, dans un terroir où s’élèvent de gracieuses résidences du XVIIIe siècle, allez à la Mogère, Flaugergues, Rastouble ou Grammont ; personne ne vous refusera un verre de la « Méjanellle », à condition que les négociants de Bordeaux, qui le connaissent bien, et pour cause, n’aient pas enlevé toute la récolte. »
C’est à vous Languedociens outragés, Roussillonnais oubliés, Bordelais outragés, et tout autre terroiriste intéressé de répondre à la question : « Avec le cassoulet que buvez-vous ? » Pour les perfectionnistes ils peuvent raffiner en mariant chacun des 3 Cassoulets : Toulouse, Castelnaudary et Carcassonne avec le bon vin ! Même Miren de Lorgeril peut concourir eu égard à la grande palette de ses vins d’altitude vantée, à juste raison, par notre cher Michel venu dans le Versailles de Carcassonne la goûter sans pour autant accéder au raffinnement des chambres du château !