Poser une telle question peut vous paraître incongru car pour vous la réponse à cette hypothèse relève de l’évidence : c’est inimaginable et impossible que le produit emblématique de la fermentation du raisin puisse être rayé de la surface de notre planète. Même les hygiénistes les plus optimistes, les prohibitionnistes les plus radicaux n’ont jamais posé le problème en termes d’éradication de l’une des sources de ce qu’ils diabolisent : l’ivresse en liant celle-ci avec l’addiction précipitant des millions de gens dans l’alcoolisme. Le vin, en dépit de son statut quasi-divin de boisson fermentée n’est tout d’abord pas la seule boisson fermentée, en effet comme l’écrit Gabriel Bender « des steppes asiatiques aux grandes forêts vierges, toutes les cultures ou presque ont fini par maîtriser le processus de la fermentation, ou de la distillation, son corollaire. Les boissons fermentées n’ont pas cessé pour autant d’inquiéter, tant les transformations sur la matière et l’esprit sont radicales. Parce que le raisin broyé, les grains de blé ou de riz moulus se mettent à revivre, à gonfler, à chauffer. Quelle drôle d’histoire ! » . Cependant, le raisin de cuve a sur la planète un statut quasi-hégémonique (celui de bouche et les raisins secs restent marginaux) alors que les grains d’orge, de riz, de maïs ou d’autres fruits et même le lait sont des sources majoritairement alimentaire.
Ma supposition ne relève pas de la science-fiction – et pourtant il y aurait matière à roman – mais se veut une réponse radicale à celles et ceux qui nous chargent indument de la responsabilité d’un des maux de notre société en diabolisant un produit qui, pour beaucoup de nous, est un bienfait terrestre, fabriqué par l’homme, qui fait partie de la vie depuis de nombreux siècles. Certes, comme l’écrit Bender, « les boissons fermentées tourmentent le corps social et inquiètent l’autorité, tout comme elles font se tordre de plaisir ou de douleur le corps du buveur » Cette relation de nature conflictuelle, très mal assumée dans nos sociétés qui se veulent aseptisée, propre sur elles, alors qu’elles recèlent des misères extrêmes, faute de pouvoir lutter contre les causes, se contentent d’instrumentaliser le flacon. En France, l’un des grands pays du vin, celui-ci est une cible commode, un symbole ancien facilement identifiable pour les campagnes de toutes natures : routière tout particulièrement, un bouc émissaire facile qui évite de traiter la source du mal-être des buveurs excessifs ou des jeunes en mal de shoots qui ingurgitent à la vitesse du TGV des mélanges où le vin est aux abonnés absents.
La bonne question est la suivante : « Quel serait le prix à payer pour vivre dans une société sans vin ? »
La réponse a été donnée depuis longtemps par un sage expert, Charles Baudelaire, « Si le vin disparaissait de la production humaine, je crois qu’il se ferait dans la santé et l’intellect de la planète un vide, une absence, une défectuosité beaucoup plus affreuse que tous les excès et les déviations dont on rend le vin responsable »
Voilà je me suis permis en ce samedi de vous livrer une démonstration par l’absurde de l’inanité du combat mené par nos ayatollahs « alcoologues » qui, avec une constance révélatrice de leur impuissance, diabolisent la boisson, le vin tout particulièrement, alors que sa disparition pure et simple n’aurait aucun effet significatif sur la difficulté de vivre des hommes. Nous n’avons pas besoin de mécaniciens des corps mais de médecins de l’âme et de panseurs de cœur…