Par bonheur je compte quelques amis dans le Languedoc, dont Jean Clavel, fidèle lecteur et belle mémoire de son pays. Même si je ne partage pas toujours son enthousiasme sur l’œuvre d’un autre Jacques je lui reconnais sans contestation possible un statut de grand sage. Jean m’a fait parvenir un texte qu’il vient de publier sur son blog link Les coopératives viticoles du Languedoc : évolution et problèmes du moment. Je le propose à votre lecture une analyse sur la concentration des coopératives viticoles qui devrait être approfondie par ceux qui s’assemblent autour de la table du Comité de Bassin pour définir la stratégie du L-R à l’horizon 2020. En effet, la stratégie est un art militaire d’état-major mais encore faut-il que celui-ci ne se leurre pas sur le poids de ses troupes et leur capacité à manœuvrer pour mettre en œuvre le plan de bataille. Et, ça ne vous aura pas échappé, la coopération viticole pèse encore très lourd en L-R. Le dimensionnement des caves, l’effet taille ne peut être considéré comme l’unique levier amenant la performance car tout dépend là où les vins produits vont se positionner : réseaux de distribution, marché intérieur, marché européen, grand export. Trop souvent, l’administration en première ligne, la technostructure des caves a privilégiée les investissements matériels au détriment de ceux que les coopérateurs ne peuvent contempler. Vin subi ou vin voulu, les volumes ne sont rien s’ils ne s’inscrivent pas dans une stratégie, soit de marque propre ou de partenariat avec une marque du négoce. J’en reste là car paroles et musique de ma ritournelle sont connues et, comme je ne touche aucun droit d’auteur, mieux vaut ne plus faire tourner le 33 Tours des années 2010.
Les coopératives viticoles du Languedoc : évolution et problèmes du moment
Depuis le début du 20ième siècle avec la création des premières caves coopératives Maraussan dans le Biterrois et Mudaison dans le Montpelliérain, une partie importante de l'histoire viticole du Languedoc a été le fait du mouvement coopératif et de ses animateurs et adhérents.
Mais la reconversion qualitative des vins du Languedoc a eu des conséquences importantes sur la structure des caves coopératives, dont la mutation globale n'a pas été pensée et organisée et s'est produite de façon assez chaotique.
Evolution de la coopération viticole du L.R. De 1980 à 2010
1980 P. totale 23 141 000 hl nombre de coopératives : 536, production moyenne par coop 43 173 hl
1990 '' 15 884 000 hl '' 510 '' 31 145 hl
2000 '' 14 546 000 hl '' 375 '' 38 789 hl
2010 '' 8 400 000 hl '' 210 '' 40 000 hl
J'ai vécu des situations très variées de fusion/absorption, dont certaines aboutissent maintenant à des situations presque insolubles. Par exemple, une coopérative absorbante qui capte le patrimoine de 5 coopératives voisines , vends certains terrains aux prix du terrain à bâtir, et investit ,avec l'aide de subventions importantes, dans des bâtiments et des matériels dans une commune qui ne possède plus de vignes par suite d'urbanisation totale, et va devoir abandonner cette situation pour cause d'accès devenus impossibles et de problèmes de gestion de voisinages alors qu'une coopérative absorbée située dans un îlot préservé de vignes AOP est abandonnée et en ruine. La mairie d'une des communes absorbées rachète, trop cher, le bâtiment de l'ancienne cave coopérative, ce qui la met en difficultés financières et provoque le changement de municipalité. Un des anciens coopérateurs me disait, la commune a payé une première fois la construction de la cave, et après cession gratuite à la cave absorbante, a racheté cette cave à un prix très excessif !
Cette réflexion a été activée par plusieurs faits récents: le dépôt de bilan, au tribunal de commerce, le 2 avril 2013, pour la partie commerciale, assorti d'un plan social de la coopérative dite du Mont Tauch dans l'Aude, et d'une action au tribunal civil pour les adhérents, permettant de suspendre toute poursuite. Des discussions avec des coopérateurs qui avaient été regroupés dans une coopérative trop éloignée de leur lieu d'origine ou bien dont les conditions de production ne correspondaient pas vignes AOP dans une coop n'en produisant pas....
1993 La coopérative de Tuchan absorbe le CC de Paziols
1999 absorption de la CC de Villeneuves des Corbières et celle de Durban
2006 absorption de de la CC de Fitou et de La Palme
La cave de Mont-Tauch est un acteur majeur du Fitou (représentant 70 % des volumes de cette appellation). Elle regroupe 1 950 hectares cultivées, produit 13 millions de cols par an et dégage 25 millions d'euros de chiffre d'affaire par an. Elle a 250 adhérents vignerons et 80 salariés. La coopérative est en difficulté financière depuis 2007. La chute de la livre anglaise et la perte de marchés d'exportation majeurs (Suède, Benelux...) seraient à l'origine de cette dégradation des résultats (la cave exporte quasiment 50% de sa production). Mais c'est surtout la stratégie d'investissement (en cuverie, en bâtiment de stockage...) et une mauvaise appréciation de l'évolution des marchés qui ont mis la structure dans cette situation périlleuse. En graves difficultés financières depuis 2007, la coopérative audoise avait amorcé en 2011 une cure d’austérité en réduisant son personnel de 94 à 57 salariés et en obtenant un moratoire de ses dettes sur trente-six mois, dettes qui atteignaient 8,5 millions d’euros en 2010. Elle n’a pas réussi à tenir ce moratoire.
En avril 2011, suite à la mise à pied du directeur général Xavier Jayet, pour, prétendue mauvaise gestion, les adhérents de la cave du Mont Tauch, réunis en Assemblée Générale ont débarqué le président Jean-Marc Astruc et dix des quinze administrateurs, estimant que des erreurs de stratégie commerciale ont été commises.
Depuis avril 2011, le nouveau conseil d’administration a revu la stratégie commerciale de la coopérative. Un contrat de distribution exclusive a été signé avec les Grands chais de France pour la vente des vins à l’export. La coopérative de Tuchan conserve la mise en bouteille et la commercialisation des vins sur le marché français. Cette réorganisation a permis de réduire à nouveau les effectifs. Trente-sept personnes ont à nouveau quitté l’entreprise dans le cadre d’un nouveau plan social, ramenant l’effectif de la cave à une vingtaine de salariés.
Au début septembre 2011, deux exploitations de Tuchan et Paziols (Hautes-Corbières, Aude), ont été victimes d’actes de vandalisme : palissages coupés, porteurs sectionnés, les soupçons se sont portés vers des vignerons adhérents des Caves de Mont-Tauch. En effet, les deux domaines appartiennent respectivement à Jean-Marc Astruc et Robert Agelet, respectivement ancien président et ancien vice-président des Caves Mont-Tauch.
Autre aspect du problème local, l'indépendance manifestée par l'ODG Fitou par rapport à l'adhésion au Comité Interprofessionnel des vins du Languedoc dont cette structure ODG avait démissionné, pour cause du montant de cotisation qu'ils estimaient trop élevé. Là aussi changement de président, qui déclare: notre retour était indispensable pour que les metteurs en marché aient une meilleure visibilité et profitent des actions de promotion de l’interprofession. Le marché français commence à saturer et nous voudrions nous rééquilibrer vers l’export qui ne pèse qu’un tiers de nos ventes. »
La course à la taille est-elle la seule solution aux problèmes vitivinicoles desadhérents et des caves coopératives languedociennes, ou existe-il des solutions différentes ?
Exemple: Embres et Castelmaure sur les hauteurs des Corbières proche du Roussillon
Patrick de Marien, président de la cave, et Bernard Pueyo, directeur, sont les artisans de ces progrès. Ils forment un tandem audacieux et efficace qui, au début des années 1980, a dédaigné les Cassandre malveillants et peu visionnaires leur annonçant : « La cave va mourir, elle est trop petite, il vous faut croître en volume pour survivre. » Leur persévérance, leur politique qualitative ont payé. Il ne s’agit pas d’une de ces caves coopératives poids lourd du secteur. Il y a ici, un vrai savoir-faire et une éthique qui font des merveilles à Embres et Castelmaure, depuis le début des années 1990. Question de gestion, de rigueur dans la production, de vinification ; on préserve la technique sans tomber dans le piège de la technologie.
Il en est d'autres différentes: Saint Saturnin de Lucian a été la première à valoriser ses produits Coteaux du Languedoc dès l'époque VDQS en 1970, et elle continue et progresse sans absorber ses voisines, comme Montpeyroux qui vit sa vie de valorisation qualitative, c'est le cas des coopératives vigneronnes du Picpoul de Pinet, Pomerol, Florensac et Pinet en vin blanc cette dernière est venue aider par son réseau une cave de rouge qui manquait de débouchés.