Lorsqu’en 1976, Bernard Auberger, tout nouveau directeur à la Direction des Marchés et des Echange Extérieurs, Inspecteur des Finances, me recrutait pour mon premier emploi comme chargé de mission contractuel, pour selon son expression « insuffler de la réflexion économique » dans sa Direction plutôt plonplon, je le fus en tant que spécialiste des productions animales (ma thèse sur le cochon brassait quelques idées iconoclastes). Je m’installai dans un minuscule bureau du 2d étage de la rue Barbet de Jouy à quelques pas de celui du directeur. Ma première découverte fut celle de l’importance du chef de bureau premier maillon de la chaîne qui menait jusqu'au Ministre. Tout ou presque lui tombait dessus, les gros et les petits dossiers, les interventions, les notes pour le cabinet, les réunions en tout genre : un vrai soutier. Yves Van Haecke, énarque de 32 ans occupait alors les fonctions de chef du bureau de la Viticulture.
Vu mon tropisme pour les poules et les cochons à cette époque nous n’eûmes pas l’occasion de travailler ensemble. Nous nous retrouvâmes en 1983 alors que je venais de rejoindre le cabinet de Michel Rocard pour traiter plus particulièrement le dossier de la viticulture languedocienne dans le cadre des négociations d’élargissement de l’Europe à l’Espagne et au Portugal et que lui, après un détour par la Préfectorale, était revenu à ses premières amours en tant que sous-directeur des productions végétales. Yves, passionné, travailleur infatigable, créatif, m’alimentait à jet continue de notes et de réflexions souvent transcrites de son écriture fine et sinueuse. Nous n’étions pas du même bord politique mais notre collaboration fut toujours sans faille, loyale et franche. Depuis, dans les hauts et les bas de nos vies professionnelles, nous nous ne sommes jamais manqué. Estime et fidélité nous liaient et ce billet dominical je le lui dédie car une maladie foudroyante vient de l’emporter.
Jeudi dernier, à l’église Ste Jeanne d’Arc de Versailles, ce qui m’a frappé et réconforté, dès mon arrivée, c’est que quelques membres de ce que je qualifierais, dans un raccourci rapide, de Confrérie des anciens de la Viticulture, étaient présents : Dominique Defrance, Philippe Balny, Christian d'Ornellas qui furent eux aussi chef du bureau de la Viticulture, Robert Tinlot grande figure de la répression des Fraudes puis de l’OIV, PML l’homme de l’Office des Vins de Table, Jean-Marie Domergue de la DIAA, Jean Moulias chef du service de la Production... Sans vouloir idéaliser une époque révolue, sans entonner l’hymne des regrets du c’était mieux avant, force pourtant est de constater qu’au sein et autour de ce petit bureau de la viticulture de la rue Barbet de Jouy gravitaient des fonctionnaires qui s’impliquaient bien au-delà des dossiers, qui se sentaient partie prenante des problèmes, se colletaient aux hommes du vin, les appréciaient, les respectaient. Jérôme qui les a côtoyés pourrait en témoigner.
Par delà cette évocation de la mémoire d’Yves je voudrais au travers de son parcours rendre un hommage appuyé à tous ceux qui, comme lui, ont consacré leur vie au service de la chose publique. Loin de l’image du haut-fonctionnaire, hautain, lointain, déconnecté des réalités, Yves Van Haecke est toujours resté un type simple, souriant, affable, à l’écoute, ne ménageant pas sa peine, courageux. Ses mandats électifs en témoignent : maire d’Avallon (1995-2001), Conseiller Général de l’Yonne (1992-1998), député de la 2ième circonscription de l’Yonne (1992-97). En ce jour d’élections où certains, sous le fallacieux prétexte du désintérêt de la chose publique, vont s’abstenir, permettez-moi, sans donner de leçon à quiconque, de mettre en avant tout ce qui nous séparait Yves et moi et qui ne nous a jamais empêché de travailler ensemble, de nous apprécier, de nous comprendre et de lier une amitié simple et fidèle. Le bien-vivre ensemble par-delà les différences, les oppositions ou les prises de positions, passe aussi par une démocratie apaisée. Salut à toi Yves homme de bonne volonté.