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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 07:00

La discussion se cristallisait sur de vieilles récriminations entre les ouvriers de l’Assemblée Autonome et ceux de Lotta Continua, tout ce qu’ils avaient accumulé dans leur vie de tous les jours dans les ateliers, des petits riens qui mis bout à bout se transformaient en rancœurs, alimentaient les mésententes. Je fatiguais. Ils m’emmerdaient. Plutôt que d’ouvrir ma gueule je fis celui qui a envie de pisser et je me dirigeai discrètement vers la sortie. Juste à ce moment-là, se pointait un délégué de la Carrosserie se pointait. C’était un copain de Giuseppe, un gus de la FIM, ouvert et disponible, toujours prêt à défendre au sein du syndicat les luttes spontanées tout en maintenant ses distances avec les extrémistes. Mettre tout le monde dans le même sac que les futurs fêlés de Brigades Rouges, ne correspond pas à la réalité historique. Des types, courageux et sincères, se sont toujours opposés avec force à ce qu’ils pressentaient comme une dérive sectaire, un enfermement qui ne pouvait déboucher que sur des actes sanglants. Les Français ont une fâcheuse tendance à l’amalgame, les meurtriers d’Aldo Moro n’étaient qu’une poignée, des types perdus soutenus par des intellectuels dévoyés qui eux s’en tireront, tel Battesti, en se lavant les mains du sang répandu par d’autres. Nous n’en étions pas encore là, les ouvriers gardaient encore le contrôle de la situation. Le délégué de la FIM s’approchait du petit Sarde de la carrosserie. Ils eurent un bref conciliabule et ce dernier réclamait le silence qui se fit d’un coup. Posté dans l’entrée j’entendais le délégué annoncer que l’exécutif syndical, FIOM en tête, avait négocié avec la direction d’Alfa sur la question des équipes relais pour l’atelier de peinture. Celle-ci avait lâché sur tout.

 

Je m’attendais à une explosion de joie. Il n’en fut rien en dépit du soin que prit le délégué à souligner cette victoire syndicale. Le hic pour l’assemblée, toutes tendances confondues, c’était que l’exécutif syndical était passé au-dessus de la tête des ouvriers. Le petit sarde reprenait la parole « Pour nous, à l’atelier de peinture, ça nous va, mais ce qui ne va pas du tout c’est qu’ils nous aient court-circuités pour les négociations avec la direction. Tous ces bureaucrates doivent cesser de prendre des initiatives sans en parler à qui que ce soit. Sur ce coup là, ils n’ont rien pu brader car nous étions forts à la base. Nous empochons et nous verrons demain… » Les types de Lotta Continua, partisans de l’entrisme dans le syndicat, revenaient à la charge. « Nous sommes d’accord que qu’il y a des apparatchiks syndicaux, que l’exécutif n’est pas une instance au-dessus de nous mais il est idiot de rester en dehors du syndicat. Si l’on veut savoir comment l’exécutif négocie, et sur quoi il vaut mieux être dedans que dehors. Si nous ne voulons pas que les délégués d’atelier soient à la botte des bureaucrates il suffit que ce soit l’un des nôtres. Ne pas se mouiller c’est bien joli mais ça renforce la bureaucratie syndicale. Nous avons notre part de responsabilité… » Brouhaha, empoignades verbales, c’était reparti pour un tour. Avant que tout cela parte en couille je préférai partir.

 

C’était la première fois que j’étais seul dans la ville. Je remontai le col de mon blouson et je m’aventurais dans des rues mal éclairées. J’avais envie de voir des gens normaux, de m’assoir dans un bar, de siroter une bonne bière. Que faire ? Sur un grand boulevard je tombai nez à nez avec une cabine téléphonique. J’y entrai. Comme j’avais mémorisé le numéro de téléphone de l’appartement – nous ne devions jamais avoir sur nous un quelconque papier qui puisse amener la police jusqu’à notre point de chute où venaient se réfugier des camarades en bute avec elle – je glissai des pièces dans la fente et je composai le numéro. Tout en entendant les impulsions du téléphone, une douce chaleur m’envahissait le bas du ventre, j’avais envie que Lucia décroche et que je puisse la sentir près de moi. Je raccrochai au bout de 5 impulsions. C’était le code. Je recomposai le numéro. Lucia décrocha aussitôt. Elle reconnut ma voix lorsque je lui demandais si le chat avait mangé. Encore la procédure. Je sentis de suite qu’elle lisait dans mes pensées. Sans même attendre que je formule une quelconque demande elle me demandait où j’étais et déclarait qu’elle venait me rejoindre. En l’attendant je grillais une cigarette en faisant les cents pas. La circulation à cette heure-ci était très réduite mais je restais aux aguets car une patrouille de police pouvait toujours marauder dans le quartier. Mon attente ne fut pas très longue. Le museau tout cabossé de la Fiat 500 se pointait. Lucia se faufilait dans le bateau où je m’étais posté. Elle se penchait et m’ouvrait la porte. L’espace vital de l’habitacle d’une Fiat 500 présente, comme une cabine Soyouz, l’avantage de la proximité. Le moteur tournait. Le doux parfum de Lucia me percutait. Sa bouche était fraîche. Nos mains allaient à l’essentiel.

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