Jasmine, sur Facebook, collectionne les amis. Depuis fort longtemps elle a dépassé les 2000. Ironique je lui ai fait remarquer que les mâles y occupaient une place hégémonique et que sa galerie de photos devait y être pour quelque chose. Très pincée elle m’a déroulé son profil où, à situation amoureuse, elle a indiqué : mariée. Ma répartie « ça les attire plus encore » m’a valu le qualificatif de « vieux barbon lubrique » que j’ai déclaré apprécier à sa juste valeur. Elle est aussi sur Twitter et, alors que je m’échinais au petit matin à retracer mon sillon chilien elle est venue me mettre son Iphone sous le nez pour me montrer la récupération politique par le Président chilien Sebastian Piñera – vocabulaire estampillé de l’extrême-gauche d’hier et d’aujourd’hui – de la réussite du sauvetage des mineurs de la mine San José, près de Copiapo « Que emocion! Que felicidad! Que orgullo de ser Chileno! Y que gratitud con Dios! » se réjouissait-il « Quelle émotion ! Quelle joie ! Quelle fierté d'être Chilien ! » L’Union sacrée c’est le rêve de tout dirigeant politique et, dans la foulée l’exaltation du bel élan d’unanimité nationale : « Ils ont démontré, comme l'ont démontré les victimes du tremblement de terre et ceux qui reconstruisent, que lorsque le Chili s'unit, et il le fait dans l'adversité, il peut réaliser de grandes choses » prenait des allures d’un soulagement rétrospectif. Si ces malheureux, au lieu d’être assemblé pour la pause, s’étaient retrouvés à leurs postes de travail, l’éboulement les aurait enfouis dans la mine et c’eut été la curé sur leurs cadavres.
Il n’empêche que je suis allé voir sur l’écran de télévision la remontée des mineurs, un à un, dans une dramaturgie bien réglée, extraits, extirpés des entrailles de la terre par ce boyau étroit, la scène avait quelque chose d’extraordinaire, de fabuleux et, comme toujours dans ces moments, du groupe des rescapés un individu s’est détaché Mario Sepulveda, un immense sourire aux lèvres, coiffé d'un casque et les yeux protégés par des lunettes spéciales, survolté, sautant comme un cabri, qui a bien sûr immédiatement serré dans ses bras son épouse Katty Valdivia, puis a déclenché l'hilarité en sortant d'un sac des morceaux de roche du fond de la mine, qu'il a commencé à distribuer aux secouristes. Au président Sebastian Pinera, au ministre des mines Sepulveda a crié « Viva Chile, mierda ! » (Merde, vive le Chili !) 69 jours sous terre, Mario raconte leur calvaire, l’incertitude, la peur, ajoutant qu'il leur arrivait souvent de crier, de se battrent et de pleurer alors qu'ils tentaient d'accepter ce qui leur arrivait. Prier alors, se préparer à la mort «Une nuit, j'ai rassemblé toutes mes affaires, ma ceinture, mon casque, et je me suis dit : « Quand je mourrai, je veux mourir comme un mineur.» C’est grand. C’est émouvant. Mais aussi, Mario le dira, assis sur son canapé, entouré de sa femme et de ses enfants : il faudra à l’avenir que l’on soit au Chili plus soucieux de la vie des mineurs. Que les hommes du fond ne soient pas envoyés à l’abattoir...
La nouvelle folie du cuivre, attisée par la boulimie de la croissance chinoise, me renvoyait à toutes ces années que j’avais traversées sans les voir, comme un zombi, ou plus exactement comme un non-engagé, un spectateur désabusé. Mais pouvait-il en être autrement ? L’incurie bureaucratique du gouvernement sous Allende, le jusqu’au-boutisme des groupuscules gauchistes, la trouille de la petite bourgeoisie chilienne, l’obsession américaine d’éradiquer le communisme, de cerner Castro, de tuer dans l’œuf toute velléité d’indépendance nationale, ne pouvait qu’accoucher de drames. Sans vouloir manier le paradoxe, faire de la provocation, Pinochet est avant tout le pur produit d’un Chili qui n’a pas su, ou pu, ou voulu, à l’image des partisans d’Eduardo Frei, accoucher d’un compromis démocratique face à une situation économique proche du chaos. La classe dirigeante a soutenue le coup d’Etat, ou fermée les yeux, laissant à Pinochet et à ses boys de l’école de Chicago le soin de faire la saignée, d’administrer à l’économie la purge. De se couvrir les mains de sang aussi dans une grande indifférence nationale et permettre ainsi l’érection d’un culte d’Allende martyr dans les partis de gauche français. Je me souvenais de Mitterrand en 1981 se penchant avec ses mines de guide du socialisme démocratique sur les mannes de Salvador Allende, nous n’osions pas lui rappeler le nombre de têtes d’algériens qu’il avait laissé trancher sous le gouvernement Guy Mollet. Toute cette hypocrisie, cette fameuse raison d’Etat, ce cynisme d’Etat, tous ces gens sincères passés par pertes et profits, ça me donnait d’autant plus envie de gerber en voyant ces pauvres bougres sortis de terre annexés, exhibés, alors qu’ils n’étaient rien d’autres que des damnés de la terre sacrifiés à une croissance démente d’une Chine Impériale tenant enfin sa revanche. Je passais ma journée au lit.