C’est à regret que je me défis de ma soutane pour revêtir une ample et chaude parka pourvue d’une capuche. Marie-Amélie, elle, du se contenter d’un manteau de fourrure en lapin aux poils fatigués et jaunis par le temps. Notre exfiltration se déroula sans incident sauf que le temps non parut interminable. Blottis l’un contre l’autre derrière une muraille de demi-carcasses de bœufs nous restâmes silencieux tout au long du trajet. Très vite Marie-Amélie frissonnait alors je la serrais fort en lui frictionnant le dos à intervalles réguliers. Moi c’est l’odeur suiffeuse de la viande morte qui m’indisposait, j’avais le sentiment que, comme elle, je mûrissais mal. Je faisandais. Étrange idée que de se pencher avec commisération sur sa vie dans une camionnette frigorifique qui se traînait dans les rues sinueuses de Valparaiso. Lorsque le chauffeur, un petit mapuche renfrogné, ouvrit la porte pour nous déposer, comme convenu, chez un garagiste de la périphérie, frère d’une des sœurs de la Congrégation, je fus à deux doigts de plonger dans un malaise vagal. Mon cœur s’envolait, comme une envie de lâcher prise, de me laisser réduire à un état gazeux, impalpable. La main ferme de Marie-Amélie serrant mon bras droit me raccrocha à la terre. Je lui souris. « Ça va vous ? » Une bouffée d’air chaud me happait et me rassérénait. Ma réponse « Vous êtes un peu barge mais je vous aime bien » lui rosissait les joues. Le chauffeur et le garagiste nous entraînèrent dans un hangar dans lequel un ramassis de vieilles bagnoles américaines poussiéreuses voisinait avec des moteurs suspendus à des palans, des piles de pneus lisses, des caisses de pièces détachées et de vieux bidons empilés. Avant de choisir un véhicule je sortis un nouveau rouleau de billets verts. À ma grande surprise, les deux hommes refusèrent mon bel argent américain. La comtesse s’extasia de cet altruisme avant de se rétracter « la mère supérieure a du leur graisser la patte » me fit-elle remarquer.
Mon choix se porta assez vite sur un pick-up Dodge qui me semblait plus vaillant que ses compagnons d’infortune et dont le prix se situait dans la limite du raisonnable. La comtesse, pendant que je faisais mes emplettes, furetait tout au fond du hangar. Je dois avouer qu’enserrée dans sa pelure de lapin défraîchie elle avait vraiment belle allure. Mon enthousiasme fut vite douché par sa voix haut perchée « Voilà très exactement ce qu’il me faut ! » Mes deux interlocuteurs, qui bien sûr n’entendaient pas un mot de français, ne prêtèrent aucune espèce d’attention à son interpellation et ils furent très étonnés de me voir les quitter pour aller la rejoindre. Je ne la voyais plus. Quand je la redécouvris elle se tenait à califourchon sur une grosse moto BMW de la Wehrmacht, toujours fraîche sous sa parure camouflée. Son regard décidé ne me laissait aucune illusion sur ma capacité à la faire changer d’avis. Je hélai le garagiste qui nous rejoignit d’un pas traînant. « Elle est en état de marche ? » Il opinait tout en se curant les dents avec la pointe de son canif. « Combien ? » Dans ses petits yeux enchâssés un éclair de cupidité me fit penser que j’allais casquer. Refermant son canif, il grattait ses cheveux huileux puis, se plantant devant la comtesse, il empoignait ses cojones et les remontaient avec un air de défi dans les yeux. La comtesse ne se démontait pas, elle m’interrogeait quand même « Vous croyez que... » qui lui valait de ma part une confirmation sans appel « Le cul sur une pile de pneus si ça vous dit... » Elle soupirait « À la guerre comme à la guerre ! » Je me récriai « Vous êtes givré !
- Vous êtes jaloux
- Arrêtez votre cinéma...
- Il m’a l’air bien membré.
- Phantasme du camionneur madame la comtesse...
- Et alors, ce n’est pas demain la veille que l’occasion de représentera.
- Comme vous voulez, après tout c’est votre affaire.
- Oui mais très cher je ne le fais que si vous me tenez la main...
- Hors de question !
- C’est contraire à vos principes ?
- Non ça me dégoûte !
- Je rêve mais bon j’insiste : c’est à prendre ou à laisser.
L’irruption d’une matrone échevelée, trainant les pieds dans de vieilles savates mit fin à la séquence. Notre garagiste lubrique délaissa précipitamment ses cojones pour se consacrer à l’arrivante qui devait être son épouse. Elle agita sous son nez un papier graisseux rempli de tampons en éructant des injures où le porc occupait une place privilégiée. Face à des étrangers, son honneur de mâle étant en jeu, notre garagiste utilisait la manière forte : il balançait deux mandales en aller-retour à sa moitié qui s’en allait valdinguer sur son gros cul dans un bac d’huile de vidange. Avant qu’elle ne se relevât il me marmonnait un prix que je m’empressais d’accepter. Je sentais bien que Marie-Amélie, face à ce spectacle qui la révulsait, se retenait. Pour faire diversion je m’enquérais auprès de la brute épaisse « Vous avez des casques ? » Derrière nous la matrone dégoulinante tentait une contre-attaque mais sa projection en avant se transformait, du fait de son oint d’huile, en une glissade sur le ventre qui se terminait par un heurt violent de sa tête dans une pile de pneus qui s’écroulait et la recouvrait. Le cri d’horreur de Marie-Amélie ne troublait pas notre homme qui nous faisait signe de le suivre. J’empoignais la comtesse par le gras du bras en lui intimant de ne pas s’interposer. Comme le livreur de bidoche entreprenait de libérer la bonne-femme de l’amas de pneus elle acceptait de me suivre en déclarant d’un ton pincé « j’adorerais lui frire ses cojones... » ce qui lui valait un passing-shot de revers de ma part qu’elle goûtait modérément « Comme c’est étrange à vous entendre vous sembliez préférer les consommer crues... »