Le matin où j’écrivais « Je perdis la bataille en gagnant la guerre qu’elle m’avait déclarée » Jasmine, qui prenait soin de moi comme du lait sur le feu, au lieu de m’apporter comme chaque matin un grand bol de café fumant s’approchait sans bruit sur la pointe des pieds. Le soleil se hissait doucement au-dessus de la crête épandant sur la peau de la mer, à peine ridée par une fine houle, un trait d’argent. Mes yeux éveillés tôt se troublaient. Mon estomac criait famine. Je n’entendais pas Jasmine s’approcher. « Tu me trouves comment ? » Je sursautais, elle était nue et fraîche. « Désirable ! » Elle levait ses mains au ciel et esquissait un pas de deux « Alors prends moi et fais-moi un nouveau petit » Je me récriais « Mais je suis vieux mon amour ! » Jasmine se ruait sur moi pour m’entourer de ses bras « Tu ne t’en tireras pas comme ça mon amour, c’est trop facile. Je te propose un petit jeu. Si tu gagnes c’est toi qui décide et si tu perds c’est moi. D’accord ! » J’opinais en lui caressant la croupe. « Pas touche vieux barbon libidineux ! Concentre-toi ! » Je prenais un air inspiré en ôtant mes lunettes pour me frotter les yeux. Jasmine affichait un sourire mutin qui en disait long sur sa certitude de gagner. « Aujourd’hui mon homme qui allons-nous fêter ? » Le piège se refermait. La mutine connaissait mon allergie profonde pour tout ce qui touchait aux dates de naissance et autres fêtes de saint-patron mais je ne voulais pas me rendre sans avoir bataillé. Bandant mes neurones je plongeais dans le flou de mon calendrier interne pour mieux me retrouver dans un trou noir. Jasmine me mordillait le lobe de l’oreille en me massant le cou. Son odeur d’épices et de vanille orientait mon énergie vers des rives plus chaudes que celles de ma pauvre tête et sous ma grande blouse ample l’objet de ma défaite s’animait. Ce ne pouvait être la sainte Jasmine car je me souvenais que nous l’avions fêtée l’an dernier au moment des vendanges ; du côté de son anniversaire j’avais réglé le problème en installant une alarme, pour le jour-dit, sur mon Iphone. Mathias alors ! Non, il était né le jour de Noël et nous avions fêté son saint patron en mai. Je jetai l’éponge.
« Mathias mon amour...
- Pour quelle raison gourgandine ?
- Sa fête !
- Qu’est-ce que tu me chantes nous l’avons célébrée en mai avec faste au resto de Bocognano... rappelle-toi le feu de bois et les marrons...
- Exact mon beau mais comme nous sommes ici sous la juridiction religieuse de Cargèse où, comme tu le sais, cohabitent le rite romain et le rite byzantin. Le 8 août c’est la saint Mathias du côté de Byzance... alors c’est la fête !
- D’où tu sors cette science ?
- Wikipédia mon amour !
- Donc j’ai perdu !
- Non tu as gagné une femme heureuse !
- Tu ne l’étais pas avant ?
- Si, mais maintenant je le suis deux fois plus !
- D’accord mais mes petits trucs vibrionnant sont peut-être désactivés ?
- La meilleure façon de le savoir c’est de leur offrir une nouvelle chance mon amour...
- Et si Mathias se réveille ?
- Il verra ses parents faire l’amour...
- Non je vais te féconder en plein air...
- Comme tu veux je suis une femme soumise...
- Qui obtient tout ce qu’elle veut. Dis-moi je suppose que si j’avais gagné à ton petit jeu longuement mûri je n’aurais eu d’autre choix que de te faire un enfant...
- Oui mon amour, ça va de soi !
Nous étions dimanche et, suite à notre accouplement, nous descendîmes à Ajaccio. Le petit gazouillait dans sa poussette Bébé Confort modèle rustique tout terrain, petites roues à pneus pleins, siège skaï bleu roi patiné par plein de petites fesses, que j’avais dégoté dans le garage de nos propriétaires. Jasmine arborait une robe blanc ivoire, ample et floue, courte, bras nus, agrémentée de multiples petits volants à l’ouverture des manches et tout autour de l’ourlet du bas, avec des sandales blanches. La vision d’une aussi jeune femme, rayonnante, belle comme un cœur, pimpante, au bras d’un type aux cheveux blancs qui passait son temps à se préoccuper d’un petit mouflon aux cheveux de jais tout bouclés lui ressemblant comme deux gouttes d’ eau, plaisait aux insulaires. Sans doute le respect du aux patriarches. Les marchands des Puces nous connaissaient, ils prenaient de nos nouvelles et ne manquaient jamais de complimenter Jasmine, et sur le petit, et sur elle. Moi j’avais droit à un couplet ambigu sur ma grande chance de posséder un tel bijou. Introduire une poussette dans la masse compacte des chineurs en ce premier dimanche d’août eût été une folie que seules osaient quelques jeunes mères corses soucieuses d’affirmer leur revendication identitaire face aux envahisseurs du Nord. Mathias adorait la position privilégiée de mes bras. Jasmine, libre de tout mouvement, jouait les éclaireuses en fouinant sur les étals. L’observant je ne pouvais m’empêcher de penser, en la voyant si heureuse, auréolée de bonheur, que j’allais devoir me préoccuper de son avenir et de celui de nos enfants. Mon sens des responsabilités étant ce qu’il est, c’est-à-dire nul, j’allais charger Raphaël de cette tâche. Accroupie, Jasmine me hélait.
Sa position et sa robe en corolle la faisait ressembler à un bel oiseau protégeant son nid. Déjà, après nos ébats face à la mer, alors que Jasmine venait de passer presqu’une heure dans la salle de bains à se préparer, lorsqu’elle revint dans la salle commune où je terminais d’attifer un Mathias qui prenait un malin plaisir à se tortiller comme un petit ver de terre, je lui avais finement dit, face à sa tenue Prénatal et à son air extatique, « Tu commences ta couvaison... » pour m’entendre répondre « Oui mon beau, j’aime sentir en moi ta semence à l’œuvre. Elle est vive et incandescente... » Je m’étais bien gardé de lui répondre que le produit de mes gonades devaient être aussi poussif que moi sur mon vélo. Pour l’heure Jasmine agitait au-dessus de sa tête un petit bouquin dont la jaquette affichait le rouge et le noir. Mathias exprimait à sa façon sa volonté d’atterrir, je le déposai sur la bâche. Jasmine me tendait l’opus « Sois jeune et tais toi » l’un des slogans d’une de ces affiches nées dans les soutes de la révolution soixante-huitarde avec l’ombre rouge du Général bâillonnant un jeune type bien coiffé posé sur un pavé noir « KUNST EN REVOLTE het politieke plakaat en de opstand van de frense studenten. Le peu d’allemand que j’avais acquis lors de mon bref séjour dans la marmite de Berlin ne s’avérait même pas nécessaire à la compréhension du bouquin publié en 1968 en la sage République Fédérale de Bonn. « Ce sera le cadeau de Mathias pour sa fête » m’annonça Jasmine. Ma réponse « il va adorer ! » me valait une remontrance bien sentie « Ne plaisante pas avec l’éducation de notre fils. Je veux qu’il sache tout sur son père... » Je m’esclaffais « c’est vrai que nous n’avons pas eu droit aux monuments aux morts ni a une médaille commémorative... »