À notre retour de Kiev je me sentais tout mou, cotonneux, et quelques heures après notre arrivée au pallazzo j’avais la gorge en feu. Sans hésiter je me plaçais en isolement, dans l’aile réservée au personnel, pour éviter à la maisonnée de choper mes microbes. Intransigeant, je ne tolérais aucune visite en dépit des supplications d’Adeline. Mon ordinateur, de l’aspirine, des inhalations, sérum physiologique, une montagne de mouchoir, des citrons de Sicile et du rhum blanc : un traitement à l’ancienne avec comme seul loisir une cargaison de vieux films américains. Très vite je me suis totalement déconnecté du rythme des jours, exigeant, soi-disant pour épargner mes cordes vocales, que nous ne correspondions plus que par textos. Du côté alimentaire, vu l’état de ma gorge je n’absorbais que du liquide que m’apportait Sandra, la plus jeune des soubrettes mais je n’avais guère d’appétit. Sur le plan vestimentaire je baignais lamentablement dans mon jus, comme une totale envie de me laisser-aller. La vieille de Noël, bombardé de textos par mes femmes je restai de marbre et, pour ne rien vous cacher, je me suis offert une longue tranche de sommeil jusqu’à Minuit. J’ai alors balancé des Merry Christmas en rafale puis je me suis offert un grand plateau d’huîtres de pleine mer très iodées. L’eau salée me labourait la glotte, ça me vivifiait sauf que je me payais dans la foulée une belle et monstrueuse crise d’asthme. Assis sur le bord de mon lit je sifflais comme un vieux vapeur. Du calme, pas de panique, je laissais déferler l’ouragan sans chercher à desserrer hâtivement le carcan. Le reflux vint lentement. Je sentais mauvais. Tel un paralytique guéri, trainant les pieds, j’ouvrais en grand la porte-fenêtre. Une bouffée de lagune investissait la pièce et la brise gonflait les rideaux. Je me déshabillais jetant mes vêtements en tas comme si je les destinais au feu purificateur. Nu j’évitai de me contempler dans les nombreux miroirs. Douche bouillante comme un labour profond de ma crasse, je contemplais les tourbillons de l’eau autour de la bouche d’évacuation, ça gargouillait, exportation de miasmes. Le drap de bain blanc doux comme un duvet d’oisillon achevait de me tirer de mon carcan. Tonte de ma barbe. Friction à l’eau de Cologne. Du blanc que du blanc…
Je passai le reste de la nuit avec l’incomparable Gene Tierney. De toutes les stars d’Hollywood, avec son physique de jeune fille de bonne famille, fin et racé, ses pommettes saillantes, son allure retenue et ses yeux d’une pureté d’eau de source, elle incarne pour moi les deux faces de l’extrême féminité : une douceur d’apparence fragile et une volonté de fer mêlée à un charme vénéneux, l’aventure de Madame Muir et Laura. Allure, élégance, beauté sans fard, sensualité contenue mais affleurante, la quintessence de la grande bourgeoise charnelle que j’aurais suivie les yeux fermés en Enfer. Mon imagination face à l’écran se laissait aller, je cassais les codes des Majors d’Hollywood d’un baiser, d’un vrai, bouches mélangées, ses lèvres carminées rétives puis offertes m’encourageaient, alors j’ébouriffais sa permanente figée, dispersés ses cheveux s’épandaient sur ses épaules nues. Je sentais sa poitrine palpiter. Avec des gestes lents mais précis je commettais le sacrilège de la défaire. Elle se laissait faire. Un à un je la dépouillais de ses vêtements impeccables, corsage à col claudine, jupe couvrant le genou, et défaire cette ceinture enserrant sa taille de guêpe, et lui ôter religieusement ses dessous soyeux ne lui laissant que ses escarpins élégants. Cette nudité imaginaire, lys de beauté, avec son regard clair étonné planté dans mes yeux, cette pudeur sans niaiserie promesse d’ardeurs d’amante sauvage, me rendait heureux. M’apaisait. Que cet éternel coureur de jupon qu’était John Kennedy en soit tombé amoureux ne m’étonnait pas et qu’il l’ait sacrifiée à ses ambitions politiques encore moins.
Au petit matin, pas encore guéri mais ragaillardi, j’ouvrais ma messagerie électronique et je repérais très vite le nom d’un de mes anciens compagnons au temps où j’avais choisi d’adhérer à l’UMP après la défaite du petit Nicolas. C’était un véritable SOS, un cri d’alarme, le sleeping NKM déraillait sous l’effet de bourdes, de l’absence de dialogue, de son autoritarisme et bien sûr de multiples dissidences, trahisons et de gros egos bafoués tel celui de l’autre Beigbeder, Charles. Cerise sur le gâteau, c’était aussi le retour du petit Jean venant défendre, avec ses petites mains, son fief du Ve qu’il souhaitait confier, en bon Corse qu’il est, à son fils Dominique. Par prudence, il avait laissé Xavière à la maison au milieu de ses bondieuseries, afin de ne pas trop faire remonter à la surface le souvenir de tous ces électeurs inscrits dont les noms avaient meublés la chronique nécrologique. La jeune et la vieille droite parisienne s’en donnait à cœur joie, avec délice, un goût immodéré pour les petits calculs. Et pendant ce temps-là, « longueurs et pointes », sympathique surnom donné par la « vraie droite » parisienne à NKM, maraudait dans Paris, twittait, se prenait les pieds dans les beaux tapis. Les plus indulgents, et sans doute les plus méchants, lâchaient un pronostic ubuesque qui faisait rire jaune la Nathalie et son chauve de mari : en dépit des premiers sondages qui la donnent perdante dans le 14e face à Carine Petit (PS) - comme Anne Hidalgo dans le 15e face à Philippe Goujon (UMP) - et battue pour la conquête de la Mairie de Paris, elle pourrait vivre un vrai cauchemar dans l'hypothèse d'une victoire dans le 14e, où elle va être contrainte d'accentuer sa campagne, et d'une défaite sur l'ensemble des 20 arrondissements de la capitale qu'elle ne pourra pas tous suivre. Dans ce cas de figure, NKM aurait abandonné la mairie de Longjumeau pour devenir... maire d'un arrondissement parisien! La gloire pour une présidentiable, une stratégie gagnant-gagnant comme aimait à le dire ce cher JPP.