Je signale aux nouveaux entrants sur cette page que, ce qui suis, est pure fiction, un petit roman en ligne commencé depuis l'origine de ce blog et publié le dimanche. Il ne s'agit pas d'une autobiographie et le héros s'exprime en son propre nom. Merci de ne pas en faire un autre usage.
Lorsque je suis en Corse, j’y vis. Pour moi, comme l’écrit mieux que moi JMG Le Clézio « Il y a un esprit des îles... Ce n’est pas facile de dire en quoi cela consiste, mais cela se sent... C’est d’abord et avant tout, un sentiment de l’étrangeté. Ou de l’étranger. Être insulaire, être né dans une civilisation d’îles, cela veut dire qu’on est séparé, éloigné, écarté des autres... On est, naturellement, et irrémédiablement, isolé... Leurs frontières c’est la mer, et la mer n’est pas une véritable frontière. » Même si je ne suis pas le natif d’une île, j’ai vécu toute ma jeunesse buissonnière et sauvageonne comme si j’étais sur une île, isolé. De cette île je savais que je partirais. Ma première vraie île, en 1968, fut l’Insula Oya. Jamais je n’ai vécu d’émotion aussi intense que ces deux mois-là.L’insularité, pour moi ça sonne comme sérénité, alacrité, fidélité, comme une petite musique originale qui m’envahit la tête à chaque fois que je débarque, que je pose le pied sur le tarmac de Campo del Oro à Ajaccio que l’on a rebaptisé d’ailleurs. Je ne me lasse jamais du mystère de la Corse, de sa beauté brute, de ses odeurs, de la rugosité bourrue de ses habitants, de son hospitalité exigeante, de son rythme, de sa paix en dépit de ses violences et de ses outrances. Elle me laisse vivre et je le lui rends. J’y suis chez moi comme je suis chez moi, soigneux, respectueux, soucieux que ma liberté n’aille pas empiéter celle des autres. J’y vis. Pourquoi diable faudrait-il me transformer en estivant ? Les estives c’est pour le troupeau et son berger. Alors tous ces autocars emplit de retraités bougons et moutonniers ; alors ces monstrueux hôtels flottants dégueulant pour quelques heures des hordes filant vers le lieu qu’il faut visiter avant de vite s’en retourner dans sa cabine vitrée ; alors tous ces camping-cars squattant les parkings des supermarchés... je comprends que ça puisse insupporter l’habitant.
Malraux, dont on connaît l’art de la formule choc, écrivait « De Gaulle avait son mystère, comme nous avons la Corse » et il précisait « Il y avait en lui un domaine dont on savait qu’on ne l’éclairerait jamais. C’est cela que j’appelle la Corse » Garder sa part de mystère, sa part d’ombre, c’est s’accepter homme, c’est accepter l’autre. La Corse irrite certains, elle me fascine car elle est singulière dans un monde qui se lisse. Oui, la Corse est unique, les insulaires le répètent à l’envi jusqu’à l’outrance. « Une montagne dans la mer » qui scinde son territoire avec l’« en-deçà »(le versant oriental) et l’«au-delà des monts » qui traduit une césure sociale « la terre du commun » et « la terre des seigneurs ». Dès que l’on pénètre dans les terres, que l’on monte « au village » on comprend ce qu’est l’isolement de l’intérieur. Fut un temps, pas si éloigné, où la plupart des villages perchés, nids d’aigles suspendus à la falaise, étaient inaccessibles. « Deux communes adossées aux flancs de la même montagne, et seulement par un trajet de quelques heures, demeurent sans communication d’aucune sorte pendant plusieurs années » Adolphe Blanqui Rapport sur l’état économique et moral de la Corse en 1838. Ce cloisonnement perdure, ici « le kilométrage théorique est moins utile que... le nombre de lacets de la route pour juger de la longueur du trajet. »
La Corse est une île méditerranéenne. La Méditerranée, mare nostrum, avec sa rudesse géographique et climatique qui est cause « de la fragmentation des peuples et de l’accentuation des particularismes. »Elle fait l’unité de ces sociétés promptes à se lancer des défis, à cultiver le paradoxe, sourcilleuses sur le sens de l’honneur, la cohésion de la famille, la pureté du sang... alors qu’il y a peu de régions au monde où le sang s’est autant mêlé. Le « miracle méditerranéen » réside dans la capacité de ces peuples à préserver leur identité. « Le Méditerranéen honore le père, emblème tout puissant de la famille patriarcale, vénère la mère, redoute la femme... » comme l’écrit Paul Balta. « La mère, la mort, l’honneur... » le clan, le clientélisme, le paraître, la théâtralisation du quotidien, la violence, la loi du silence... « Le fait est établi, il n’y a guère qu’en Corse qu’une épouse, qui a des éléments à communiquer sur l’assassinat de son mari, ne témoigne pas... » Mais, Dieu sait si la Corse peut-être bavarde, bruir de rumeur, caisse de résonnance d’un lieu clos de 260 000 habitants, grande lectrice de journaux, auditrice de ses radios, spectatrice de sa Télévision. Oui « En Corse, il vaut mieux savoir qu’on ne sait pas, plutôt que de croire qu’on a compris. »
Loin des lieux communs, des idées toutes faites, avec un respect qui n’est pas de la complaisance, comme l’écrit Jean-Louis Andreani dans son remarquable livre « Comprendre la Corse » « La Corse existe, avec son histoire, sa mémoire, la fierté d’une île et d’une humanité très anciennes, qui n’oublient rien, marquées par la mort et le tragique ; la Corse existe avec ses archaïsmes, ses contradictions, ses rigidités, sa revendication d’identité et son envie de vivre comme le reste de la France, ses richesses humaines et ses petitesses, ses énergies et ses forces destructrices, sans conteste plus fortes qu’ailleurs. C’est un monde particulier, au bord du continent. Il ne sert à rien de le nier, ou de faire comme si on pouvait, justement, ne rien faire et laisser filer, pour ensuite s’insurger de la situation » Que la Corse irrite en se posant « en victime de l’histoire et du continent réunis » j’en conviens. Cette posture, qui n’est pas propre à l’île, justifie l’immobilisme