La grande, l’immense, la fragile Maria Callas, si femme et si tragique, m’a souvent fait pleurer, dont une fois en pleine razzia du SIDA en regardant le film Philadelphia, avec deux merveilleux interprètes, Tom Hanks et Denzel Washington. Au cœur du film l’opéra investi l’espace, porte à son comble l’empathie, et Maria Callas dans un aria « La mamma morta » de l'opéra vériste Andrea Chénier d'Umberto Giordano. « La mamma morta m'hanno /alla porta della stanza mia/Moriva e mi salvava! » arrachait des larmes aux coeurs les plus secs.
Pas gai votre Taulier en ce début de journée, certes mais l’Opéra me procure les mêmes émotions si intenses, si vitales, j’ose écrire tripales, que la communion avec certains vins. Je lâche prise, la dictature de ma tête, de ma raison, est mise à mal, je décolle, je quitte le sol, lévitation délicieuse ou douloureuse parfois comme avec cette mamma morta, extase, petite mort salutaire. Mais la Callas c’est aussi Casta Diva l'air d'ouverture de Norma de Vincenzo Bellini, la quintessence de la tragédie, ce prélude, magnifié par le chant de la flûte et la mélancolie des cordes, est encore un vrai bijou finement taillé.
Non, non, je ne me suis pas reconverti en critique musical, je laisse ce soin à Alain Duault, qui loue bien mieux que moi son talent à un grand propriétaire de grands Bordeaux qui mêle si bien commerce et signes de culture. Moi je me suis contenté, puisque j’étais invité – je trie et j’y vais au feeling – à un déjeuner de presse organisé pour le domaine Maby. J’avoue humblement que je ne connaissais pas. Bien m’en a pris, Le Marloe, 12, rue du Commandant Rivière, est une belle table et surtout j’ai pu découvrir un jeune vigneron, Richard Maby, et Natacha sa très séduisante épouse, qui vont très bien avec leurs vins. Ils vous transfusent leur enthousiasme bien mieux que le ban et l’arrière-ban des critiques de vins patentés. Enfin, pour ne rien vous cacher, et ça fait le lien, avec mon ouverture, Richard est un fou d’Opéra et Casta Diva est un superbe Lirac blanc, dont nous avons dégusté le millésime 2011, sur des Gambas en Penko*, issu d’un assemblage de Grenache, Clairette et Picpoul. Je me suis régalé car ce grand blanc, digne de ses grands voisins d’en face, avec un prix très doux, qui allie la finesse d’un trait tracé d’une main ferme mais douce, qui sait s’égarer dans la rondeur et la transparence d’une blanche pour laisser s’exhaler une fraîcheur vive, celle du Picpoul.
Mais c’est qui ce Richard Maby ?
C’est le nouveau chaînon d’une aventure familiale commencée au XIXe par les Maby qui, au début, ne vivaient pas de la vigne, ils étaient cordonniers de père en fils qui, comme certains de leurs voisins ne cultivaient que quelques parcelles de vignes et leurs vins étaient destinés à une clientèle locale. Ace fut Auguste Maby, qui, le premier, se consacra entièrement au vin avec 5 hectares de vignes à Tavel. En 1936, son fils Armand, alors âgé de 15 ans rejoint son père dans l’exploitation familiale qui va très vite s’agrandir pour passer à 8 hectares. En 1950 Armand Maby rachète 4 hectares de vignes et se dote d’une nouvelle maison à coté de laquelle il construit une cave plus moderne et surtout plus fonctionnelle.
Les années 60 marquent un tournant dans la saga Maby : Armand est alors rejoint par son fils Roger, son frère et ses deux gendres. De nouvelles parcelles sont acquises et la famille prend pied sur le terroir de Lirac, avec une parcelle de près de 30 hectares. En 1973, les cinq associés créent le « GAEC Domaine Maby » et le domaine poursuit son expansion. En 1996, le Domaine exploite 120 hectares qui produisent 700 000 bouteilles. À 75 ans Armand prend sa retraite et les associés se séparent. Roger reprend son indépendance avec son gendre et tous deux reprennent 45 hectares. Avec ses enfants il va racheter 15 hectares en Lirac et Côtes du Rhône, le nouveau Domaine Maby est né ! C’est en 2005 que Richard, le fils de Roger reprend en main les destinées du Domaine .diplômé de Sciences Po qui passera 15 ans sur les marchés financiers, c’est une nouvelle aventure qui démarre. www.domainemaby.fr
La transmission, l’installation, un sujet bien mal traité au 78 rue de Varenne où l’on reste enfermé dans des schémas du passé à la remorque d’un jeunisme syndicale essentiellement capteur de subvention. . Si j’ai donc longuement insisté sur l’histoire familiale des Maby c’est que l’irruption du dernier chaînon, Richard, qui exerçait ses talents dans une société de Bourse parisienne avant de recoller à ses origines lors de ses 40 printemps. Passion et raison, il suit une formation d’œnologie et de viticulture à l’université de Suze la Rousse et démarre sa nouvelle vie de vigneron. Savoir compter ne nuit jamais lorsqu’on nourrit de nouvelles ambitions« Je voulais aller plus loin que mon père qui était partisan d’une agriculture raisonnée, je me suis engagé dans un mode de culture très respectueuse de l’environnement en signant un contrat d’agriculture durable ». Il ausculte le domaine. Il s’entoure d’une équipe : un ingénieur agronome pour la vigne et un œnologue pour la cave qui n’est autre que l’ami Jean Natoli. À terme l’objectif de Richard Maby est d’engager l’ensemble de son vignoble dans le bio. Aujourd’hui seul le Lirac est passé entièrement en bio depuis Juillet 2010 sans pour autant être labellisé en tant que tel. Depuis quelque temps Richard travaille avec l’œnologue renommé Philippe Cambie, élu œnologue de l’année 2011 par Bob Parker.
Ce sang neuf venu d’ailleurs est, dans le secteur de la vigne et du vin, un marqueur très puissant de son dynamisme et de son renouvellement. Dans le cas des Maby c’est le droit fil d’une saga familiale mais la pure installation exogène est aussi monnaie courante et produits des effets bénéfiques que malheureusement on ne retrouve pas dans le restant de l’agriculture qui reste encore très largement endogame. C’est pour moi l’un des atouts majeurs de notre « industrie du vin » car cet apport bouscule les conservatismes, les immobilismes et nos chers chefs du troupeau qui trustent les places officielles devraient s’en inquiéter car leur avenir à eux n’est pas assuré.
Après ces fortes paroles d’un ancien rapporteur sur la pente conduisant à la sortie je reviens à un superbe mariage entre un Pluma Iberico Bellota* laquée à la sauce barbecue* avec le Lirac rouge Fermade 2005 du domaine Maby. En ce temps où le mariage est encensé, défendu, revendiqué, l’hyménée, purement charnelle, de ce morceau de choix du porc ibérique (Il s'agit de la partie antérieure de la longe, du lomo vers l'épaule. C'est un morceau avec beaucoup de graisse intermusculaire qui est considéré comme l'une des parties les plus savoureuses du porc ibérique. Pièce ovale de couleur rouge intense) de ce grand jus de Lirac issu d'un assemblage de Grenache, Syrah et Mourvèdre m’a rendu addict. La viande est juteuse et tendre, son goût se situe entre celui du solomillo et de la presa (merci Vincent Pousson pour la traduction) et ce millésime 2005, absolument somptueux, à damner un Taulier qui n’a plus ensuite envie d’aller travailler. Vivement la retraite ! Ce qu’il y a de bien dans le job de Taulier non appointé c’est, qu’une fois invité, en toute simplicité, en toute satiété, en toute liberté, nul besoin de lui chauffer les pieds pour lui voir délivrer ses chroniques chantournées. La magie ne fonctionne pas à tous les coups mais avec Richard et Natacha la petite musique s’est installée et, nul besoin de grands airs, pour apprécier le fruit d’un travail passionné et raisonné. Merci.
Maman m’a toujours repris « Merci qui ? »
Merci Natacha et Richard Maby.
* Pour les puristes de la nouvelle gastronomie descriptive
:
- Gambas en penko, avocat Hass, eau de tomate aupiment fumé de la Vera.
- Pluma Iberico Bellota laquée à ma sauce barbecue et rafraîchit au citon vert, pommes de terre grenaille de l'Ile de ré, fleur de sel de Maldone.