Le premier à tirer, le vin de Loire, n’est pas anglais mais écossais, John Burside est né le 19 mars 1955 à Dunfermline dans le Fife, en Écosse où il vit toujours. Il a étudié au Collège des Arts et Technologies de Cambridge, il enseigne aujourd’hui à l’Université de Saint Andrews. Poète et romancier, plusieurs de ses romans ont été traduits en français et publié chez Métailié : La Maison muette (2003), Les Empreintes du Diable (2005, Un mensonge sur mon père (2009), et Scintillation (2011). Son recueil de poésie Chasse nocturne est publié dans la collection bilingue aux éditions meet en 2009. Il a séjourné à Saint-Nazaire en 2005.
Il s’agit d’un extrait :
« Une carte postale »
La première fois que j’ai entendu le mot Loire, ou plutôt que je l’ai vu, imprimé en caractères tarabiscotés, un tantinet désuets et sans doute imprononçables, c’est quand une amie de lycée du nom de Caroline m’a envoyé une carte postale, alors qu’elle était en vacances avec ses parents. Pour le garçon de quatorze ans que j’étais, ce voyage avait paru irréel d’emblée : nous étions en 1969, et dans mon entourage, les gens passaient leurs congés d’été sur le remblai d’une ville pluvieuse des côtes d’Angleterre, où ils mangeaient des sandwiches au pain de mie saupoudrés de sable fin et de gravillons dans des sacs en papier, tandis que le soleil déclinait lentement dur l’Empire britannique ; mais cette carte postale (du château de Chenonceau, si ma mémoire est bonne) était une destination tellement inattendue que je la trouvais franchement surréaliste (…)
« (…) Qu’entend-on au juste quand on parle de fleuve ? »
« (…) Pour le garçon de quatorze ans que j’étais, la Loire aurait dû se résumer à une colle de géographie – Quelque chose qu’on cherche dans l’atlas du lycée et qu’on étudie en noir et blanc –, mais dans sa dimension physique, elle n’était pas plus réelle que le Nil ou l’Amazone, et même avec la carte postale de mon amie en main, elle restait avant tout un écran vide sur lequel je projetais les idées sur l’exception française que j’avais piochées dans les nouveaux documents audiovisuels récemment acquis par le lycée
Dans l’un d’eux, je crois me rappeler que madame Thibault et ses enfants pique-niquaient près d’une rivière et que j’avais appris par cœur les mots fromage, pain, une bouteille de vin sans vraiment croire que ces choses fussent réelles, car elles ne ressemblaient en rien à ce que ma famille et moi mangions lors du pique-nique dominical au cimetière. C’était apparemment une vieille tradition là où j’ai grandi, que ma mère respectait avec toute la solennité voulue, et tous les dimanches après-midi, elle nous conduisait à la tombe de ma tante Eleanor, morte prématurément, pour y faire un repas silencieux et d’une étrange dignité, composé de pain de mie rassis, de terrine de poisson et d’un soda tiède pour faire descendre le tout. Ô comme j’enviais ces petits Français, leur prairie ensoleillée, leurs fleuves aux eaux claires et lumineuses. Leurs victuailles ne provenaient certainement pas d’une petite épicerie poussiéreuse, et il me semblait que tout ce qu’ils dégustaient, dont quelques gorgées de vin auxquelles je n’aurais jamais eu droit, était baigné de soleil, frais et doré. »
Pour illustrer cette chronique je choisis, dans le catalogue « Vini Be Good » fondé par les créateurs du Tastevin, un domaine et un vin de Loire, bien sûr, pour remercier John Burside de sa belle contribution.
Le Domaine de Bellivière de mes amis Christine et Eric Nicolas