Sur Face de Bouc ça me bise de partout et c’est bon. C’est le bon côté du changement de millésime. Ici c’est pépère, pas d’effusions, même pas la promesse de faire péter le bouchon on reste sur son quant à soi. Je ne vais pas me plaindre mais la chronique de ce matin recélait de belles surprises que certains n’ont pas forcément pris la peine de découvrir en se disant le Taulier y fait que nous bassiner avec ses histoires. C’en était une et elle valait comme d’autres le détour.
Lorsqu’on est né, comme moi, dans un pays de chemins creux bordés de buissons hauts et épais qui menaient à de gras pâtis de glaise profonde, cette Vendée crottée, pays de ventre à choux, les arpents de vigne, cultivés comme des jardins potagers, n’étaient que des pourvoyeurs d’une horrible piquette très nature, alors que le rituel des battages était une vraie et belle fête, la vendange et le pressage du raisin se déroulaient dans une grande indifférence. Nous n’étions pas un pays de vin. Alors, le texte de Ramuz qui suit me plaît bien car, le vin du pépé Louis, j’aimais l’entendre chanter dans la cave pleine de toile d’araignée.
« Tous les bruits repartent. La petite fille chante ; dans la cuisine, on met la table. Une bande d’enfants court sur le pavé.
Et puis on a entendu aussi le bruit de serrures des caves, car il n’y a pas ici que ce qui est sur la terre, il n’y a pas ici que ce qu’on voit, c’est seulement une moitié de ce qui existe qui se montre, la place fait défaut en largeur, non en profondeur ; et ils ont creusé, ayant des maisons qui sont enfoncées dans le sol, comme les dents de la mâchoire, ou comme l’arbre dont la partie apparente n’est rien encore, parce qu’il y a la racine, la base, le fondement, les en-dessous, l’explication, la raison d’être.
Et tout bouge là-haut, et au-dessus de nos têtes est une espèce de vie – seulement, ici, sous terre, écoutez !
Quand ça recommence là-haut, et tout recommence là-haut, les semelles à clous raclent le pavé, on parle, on rit, on appelle, on crie – lissez-les rire, laissez-les crier, laissez-les parler.
- Écoutez ! a dit celui-ci en levant le doigt dans la cave, puis il pose la main à plat contre un des ovales.
Il pose la main contre le mur : »sentez-vous »,
Alors il y a un bruit qui s’élève, que d’abord on n’entendait pas tellement il est sourd, d’en-dessous, intérieur, profond ; il a grandi, il a recouvert peu à peu les autres bruits.
Ils auraient beau chanter et crier plus fort encore là-haut sur la terre ; ils ne comptent plus, ils sont sur la terre et ici on est sous la terre.
C’est quand le vin rebouge dans les tonneaux, et sous les douves tout repart en même temps que la sève repart, parce que le vin se souvient, il n’est pas encore complètement coupé de sa mère.
Ils ont fait grincer les serrures des caves, ils s’appellent les uns les autres, ils se sont invités. Ils s’alignent sous la terre de chaque côté de la longueur, contre les tonneaux eux-mêmes alignés et ne laissant entre eux que juste assez de place qu’il faut pour ces deux rangées d’hommes se faisant vis-à-vis.
Le soleil de là-haut éclaire le dehors : le nôtre nous éclaire en dedans. Celui-là les corps, celui-ci les cœurs. Celui-là se couche, le nôtre se lève.
Ils ont dit à Besson : « venez ! » Besson est venu avec eux et prend sa place dans une des rangées, pendant que celui qui remplit le verre est à un bout, et le verre va, revient, repart, tourne en rond. Ils regardent dedans, de haut en bas, ou ils regardent à travers contre la flamme de la bougie, et le vin bouge là pour une chose qu’il a à vous donner. »