Quand je portais des culottes courtes, donc en un temps que les jeunes ne peuvent pas connaître, j’allais consulter l’arrivée du Tour de France chez le marchand de journaux les résultats de l’étape qu’il affichait dans sa vitrine. Ça me faisait rêver le Tour de France : les géants de la route, et vu mon profil longiligne je me voyais dans la peau de mon grimpeur préféré Charly Gaul. Et puis tout a dérapé, la caravane du Tour ressembla de plus en plus à un hôpital ambulant avec des charlatans, des seringues, des poches de sang et les coureurs, roulant à des vitesses folles, volant dans les cols, jamais pompés mais super-gonflés, tombaient de leur piédestal pour se retrouver dans le caniveau. J’ai donc abandonné et je suis monté dans la voiture-balai.
Et pourtant, tous les ans, la Grande Boucle reste le spectacle le plus populaire en Europe, de partout des gens viennent en camping-car se ranger le long des routes, les montées des cols se font entre une foule d’excités, peinturlurés, agitant des drapeaux, courant comme des dératés. Loin de moi de mépriser cette fête populaire mais elle s’apparente vraiment aux jeux du cirque et je n’aime pas que les nouveaux gladiateurs soient instrumentalisés pour amuser la galerie. La marchandisation, chère aux altermondialistes, est ici poussé jusqu’à un stade ultime. Pauvres coureurs ! Sans doute suis-je un vieux con mais lorsque j’entendais notre précédent Président chanter les louanges de Lance Armstrong je me disais que vraiment son monde n’était pas le mien. Gagner quels qu’en fussent les moyens.
Le mien en est resté à Walko. Qui était donc Walko ? Voilà l’histoire :
Au départ de Reims du Tour 1956, les Grands : Coppi, Kübler, Koblet, Louison Bobet et Jean Robic sont absents, les cracks de l’après-guerre passaient la main. « Nous entrions dans une autre époque où les « extrasportifs », comme on dit, sont en train de prendre un pouvoir économique qui bouleversera l’organisation du Tour quelques années plus tard. »
Le Tour se fait par équipes régionales françaises et bien sûr des équipes nationales. Ainsi l’équipe de l’Ouest : maillot blanc, double bande rouge, le Nord-Est-Centre : maillot violet, double bande blanche, le Sud-Est : maillot bleu azur, double bande or, le Sud-Ouest : maillot havane double bande verte ; l’Ile de France : maillot rouge double bande bleue. La grande innovation de ce tour 1956 : «3000 maillots en laine et rhovyl ont été fabriqués et on apprend que les coureurs disposeront d’un maillot par jour au lieu d’un tous les deux jours. »
En ce temps-là le classement par équipe se nommait le « Martini » et le futur vainqueur courait pour « Geminiani Saint Raphaël » Les coureurs les plus connus : Darrigade le sprinter, De Bruyne le belge, le fantasque Roger Hassenforder recordman des victoires d’étapes, Charly Gaul l’ange de la montagne et excellent sur le contre la montre qu’il gagne sur le circuit des Essarts, Frederico Bahamontès l’aigle de Tolède. Et pourtant sur la route d’Angers « Honneur aux régionaux » c’est l’italien Fantini qui gagne au sprint mais d’est Walko qui endosse le maillot jaune. Robert Chapatte est enthousiaste « Le Tour appartient à l’espèce d’homme de Walko. Des homes qui piaffent dans le peloton, impatients de s’en dépêtrer. Des hommes qui transforment le cyclisme routier. » Mais Walko est modeste « Je suis un grimpeur moyen, très moyen. Je peux vous prédire ce que sera mon retard en sortant des Alpes : 45 mn. »
Je ne vais pas vous conter par le menu chaque étape mais, même s’il a perdu le maillot jaune, la cote de Walko montait. Leducq déclare « jamais, les autres années, il ne se serait permis d’être aussi souvent aux côtés des grimpeurs après avoir tant travaillé avant la montagne. » Walko s’accroche à la roue de Gaul dans les cols des Alpes. Celui-ci termine seul à Grenoble mais gâchera ses chances au général plus tard avec des soucis intestinaux (il est fragile le luxembourgeois). Walko reprend le maillot jaune « il s’est battu comme un lion et a fait preuve d’un courage extraordinaire. Il est animé du moral maillot jaune qui peut transformer radicalement un coureur ; » déclare Charles Pélissier.
Tour ouvert. Tour du renouveau remporté par un régional qui était tout juste cité parmi les outsiders. Le public aime la réussite des petits. Roger Walkowiack, énergique et volontaire, est sympathique, avenant et gentil. Il s’est révélé à lui-même en vainquant sa réserve naturelle. André Leducq le salue « Il faudrait être pointilleux pour lui trouver un défaut. Il a conduit sa course en vieux renard qu’il n’est pas. Le plus bel éloge qu’on puisse lui adresser est d’avoir découragé ses adversaires par sa solidité et son invulnérabilité dès qu’il eut le maillot jaune sur ses épaules. » Bien sûr il a gagné le Tour sans avoir inscrit son nom au palmarès d’une étape mais que voulez-vous moi j’en suis resté pour le vélo à Walko car c’était un coureur normal pas un transgénique bodybuildée…