Les bars d’hôtel à l’ancienne avec barman incorporé confident des habitués et Saint-Bernard des esseulés, m’ont toujours fascinés. Ils sont le terrain des écrivains, le terreau de leurs errances, de leurs phantasmes, de leurs cuites… Un petit livre « la Part de l'Ange » éditions Inculte 13€ où l’alcool et la littérature font bon ménage nous offre de belles pages. Pour vous donner soif, un petit aperçu de ces lignes gorgées de degré…
Bouteilles jusqu’à plus soif et régiments de verres… « Le Consul finit par baisser son regard. Combien de bouteilles depuis ce jour ? Combien de verres, combien de bouteilles où se dissimuler depuis ce premier jour de solitude ? » Malcom Lowry ce n’est pas n’importe qui et Sous le volcan est un monument de la littérature.
Malcolm Lowry a longtemps été considéré comme un marginal de génie et Under the Volcano comme une réussite unique et inexplicable, un « livre-culte » sans antécédents ni postérité claire et qui plus est réservé à une poignée d'initiés. Mais derrière ou à l’intérieur de l’écrivain il y avait l’ivrogne magnifique, revendiqué, et c’est ce rapport à la bouteille et aux verres qui me passionne. Le génie se niche rarement sous la mince peau de l’eau claire.
Dans la revue Esprit de janvier 1971 Gaëlle le Doze dans JOURNAL A PLUSIEURS VOIX écrit « Quand j'ai su qu'il allait y avoir une émission sur Malcolm Lowry, j' ai voulu y aller, pas forcément pour parler mais pour voir, puisque Polac disait toujours qu'on pouvait même venir de province, que l'émission payait le voyage. D'ailleurs pour Lowry je ferais n'importe quoi, parce que c'est le plus grand écrivain du siècle, parce qu'il n'est pas seulement un écrivain. Mais un buveur…
« …Bref le but de cette émission, dit Polac c'est d'essayer que vous vous précipitiez demain chez votre libraire, moi j'ajoute « et chez votre marchand de vin », le barbu de Pont Aven dit « bravo, bravo », Astruc précise « chez votre marchand de téquila », mais je trouve que « même le vin rouge fait très bien l'affaire quand on lit Lowry. »
… Alors un type, Jean Massin je crois, raconte une entrevue avec Lowry chez Clarisse Francillon, qui a traduit toute l'oeuvre de Lowry, qui est présente aussi ce soir mais qui malheureusement a trop peu parlé.
- Ce qui m'a frappé chez Lowry, ce fut d'abord sa petite taille, des bras assez courts, des mains potelées, un visage cramoisi, un œil vif, et en me parlant, sans cesse sa main descendait vers une table basse, vers une carafe dans laquelle il y avait du vin coupé d'eau (qu'est-ce que je disais, l'eau c'est une des ruses innombrables de Lowry pour réussir à boire sans culpabiliser. Bien sûr. ).
… Tout le monde aurait dû terminer l'émission sous la table c'était le moindre des hommages à rendre à Lowry : perfectamente borracho comme le consul comme Wilderness Lowry les deux doigts dans la bouche le vautour au-dessus du lavabo et l'impossibilité de rassembler les morceaux de soi-même éparpillés dans tous les coins. »
Alors, toujours dans la veine des suceurs de glace rinçant les dents avec des boissons fermentées je vous offre un dialogue bien serré produit par l’auteur américain David Dodge dans Trois tondus et un pelé… un bon vieux polar de la série Noire de Gallimard
Yann Legendre ®
« Il y avait un bar à l’autre extrémité du restaurant. Le barman posa le verre qu’il astiquait et plaça ses mains poilues sur le comptoir d’acajou.
« Et pour monsieur ?
- Deux Marie-Salope.
- Deux quoi ?
- Deux Marie-Salope. »
Le barman secoua la tête.
« Vous me la coupez, dit-il. Connais pas ce truc-là.
- Jus de tomate et vodka, dit Whit : un verre de jus de tomate, un cube de glace, un bon coup de vodka et du sel. Seulement pas de vodka dans l’un des verres et une double dose dans l’autre. »
Le barman ferma les yeux en frissonnant.
« Formidable pour la gueule de bois, dit Whit. J’ai un copain, là-bas, qui a besoin d’être secoué.
- La double ration pour lui et le jus pour vous ? demanda le barman, les yeux toujours fermés.
- Tout juste. Et en vitesse, si possible. »
Le barman frémit une dernière fois et ouvrit les yeux.
« OK, dit-il. Mais je ne veux pas de macchabée dans ma boîte. » Il s’éloigna et prit deux verres au passage, en se répétant d’une voix dégoûtée : »Vodka et jus de tomates ! »
Whit revint vers la table.
Les sandwichs et les Marie-Salope arrivèrent en même temps. Whit pris son verre et le goûta pour s’assurer que le garçon n’avait pas mélangé les verres. Fausse alerte. Whit poivra son jus de tomate, le remua avec énergie, en avala une vaste gorgée et fit claquer ses lèvres.
- Vingt dieux ! dit-il, les vitamines, y’a que ça de vrai.
David Lodge
Extrait de Trois Tondus et un pelé Gallimard