Cher Manuel,
Te donner du monsieur le Ministre eut été de la flagornerie pour me faire bien voir de la gendarmerie et de la PP de Paris réunies afin de bénéficier sur mon haut vélo hollandais d’une protection rapprochée. Ma familiarité n’est que le fruit de notre ancien compagnonnage chez le père Rocard aux temps héroïques dont peut témoigner ton conseiller politique : Yves Colmou. Comme tu le sais bien notre papy Michel qui, après avoir visité les pingouins sur la banquise se la joue Boris Vian, n’a jamais été un top-modèle : chemise au col qui baille avec cravate achetée en solde au sous-sol de la Samaritaine. Bien sûr, avec son imperméable mastic, il y a avait chez lui du Colombo en plus sec et noueux comme un cep. Ça devait être l’apanage des Inspecteurs des Finances puisque mon premier patron au Ministère de l’Agriculture, Bernard Auberger, issu de la même crémerie que lui, barbotait dans le même style d’élégance. Sauf que, le Bernard, lui, me demanda où j’achetais mes chemises.
Lors de la précédente vague rose de mai 1981 je partageais avec Georges Fillioud, l’exclusivité du nœud papillon, lui au banc du gouvernement, moi plus modestement en bas du perchoir de mon Président. Très vite je revins à la cravate, mais pas n’importe quelle cravate : surtout pas de l’Hermès de pharmacien, sauf une avec des beaux petits légumes, que des cravates de créateurs, vraiment du beau linge pure soie. Le temps a passé comme l’eau de la Seine sous les ponts de Paris et depuis des années j’ai remisé mes cravates au rang des accessoires inutiles. Au début cette absence de nœud a fait jaser mes petits camarades de chambrée qui pensaient que mes cols de chemise ouverts ou mes polos nuisaient à la qualité de ma pensée. En langage clair, pour eux l’habit faisait le moine et que ma mise décontractée faisait de moi un ramier. Mes hauts faits laitiers, si appréciés par tes Préfets, cher Ministre de la Place Beauvau – désolé je n’ai pas pu m’en empêcher – ont fait taire les lazzis. Tout ça pour te dire que je tiens à ta disposition un très, très beau stock de cravates qui t’iraient comme un gant depuis que tu es membre du gouvernement.
Je pense que tu me vois venir avec mes gros sabots de parigot du terroir mais tu comprendras très bien que tes origines catalanes m’obligent à aborder cette banale question vestimentaire avec circonspection. Sans virer de bord à 180° en adoptant le style passe-muraille à la Guéant, genre moine civil pincé, je te verrais bien évoluer, par petites touches, vers des appariements plus savants, plus variés. Le changement c’est maintenant ! Franchement, sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, tes cravates sont les sœurs de lait de celles du Besson de Mondragon. Moi ça me chiffonne. Tu peux me faire confiance, j’ai du goût et, pas modestement du tout, bon goût. Pose la question à Stéphane ! Et surtout ne viens pas me dire, cher Manuel, qu’il ne faut pas donner au bon peuple le sentiment que le pouvoir monte à la tête des nouveaux Ministres. Certes, notre François, en bon PNN, a baissé vos soldes mais tu pourrais profiter des soldes pour t’approvisionner en chemises milanaises de bons faiseurs à des prix très abordables chez mes fournisseurs habituels qui te traiteront avec courtoisie. Pour les cravates, comme je te l’ai déjà proposé, tu n’auras rien à débourser. Bref, je me tiens à ta disposition pour t’aider à matérialiser maintenant ce changement.
Enfin, pendant que j’y suis, même si je ne sais quel est l’état et le niveau de la cave à vins de la Place Beauvau, je puis aussi te proposer mes services pour seconder ce cher Yves Colmou, qui est un grand amateur, même qu’il est membre de l’ABV et qu’il ne pointait pas aux abonnés absents au temps où Jacques Dupont Merveilleux du Vignoble organisait ses orgies, pardon ses sauteries pour la sortie du Bojolo Nouveau et du Spécial Vins du Point, pour que nous choisissions ensemble de belles petites quilles de vignerons pour les servir à ta table ministérielle. Ça allégera ton budget de fonctionnement et ta popularité dans les plus petites parcelles de vignes, sur les plus beaux coteaux de notre beau terroir, s’en trouverait renforcée et ça inciterait, sans aucun doute, tes Préfets à être un peu plus attentifs à ce qu’ils servent à leur table.
J’en ai fini de mon adresse dominicale et amicale cher Manuel. Sache qu’elle n’est que l’expression d’un Taulier cherchant à se rendre utile, à bien faire, sans façon comme disait ma mémé Marie. Ne t’en formalise pas, tu as, je le sais mieux que quiconque, d’autres chats à fouetter. De quoi je me mêle ? De petits détails sans importance j’en conviens mais, plutôt que d’ironiser comme me petits camarades de la Toile, je préfère apporter ma modeste contribution à l’exercice de ta fonction. De toute façon, je ne fais ça que pour la beauté du geste en sachant pertinemment que personne place Beauvau est abonné au blog Berthomeau.
Bien à toi
Le taulier un peu enveloppé qui a mouillé le même maillot que toi ce Lundi de Pentecôte là