Comme la modestie n'est pas mon fort il est des jours où je me dis «Berthomeau mon coco t'es le meilleur !» Rassurez-vous chers lecteurs pas l’once d’une polémique dans cette chronique mais je profite que l'actualité adore les pieds de nez pour ajouter une petite couche d'ironie à une histoire qui a fait ler buzz avant de déballer ma marchandise. En effet Le Monde titrait hier « L'anglais est-il en danger ?» Alors qu'il conquiert le monde, pourquoi recule-t-il aux USA et au Royaume Uni ? La linguiste Henriette Walter soulignait dans un entretien « l'anglais est beaucoup plus menacé que le français, car il existe aujourd'hui sortes d'anglais à travers le monde. Il y a l'anglais d'Inde, d'Afrique du Sud, du Canada, etc. Sans compter l'anglais international, le pauvre petit enfant de la famille, le plus malheureux.»
Fermez le ban !
Je reviens à mon affirmation titre : Accéder à la splendeur d’un Grand Grenache est plus aisé que de goûter l’Humour Anglais pour, tel l’arrogant Saül, après avoir laissé accroire que je fusse un pourfendeur du Grenache et de ses adorateurs causant anglais, j’emprunte avec le peu d’humilité dont je dispose mon chemin de Damas. Pour autant je ne vais pas vous infliger, tel St Paul, des épîtres mais seulement justifier le titre de mon chapitre.
Vous commencez à me connaître et si j’osais écrire que, tel les 6 malheureux bourgeois de Calais, j’allais, corde au cou, en chemise, livrer à nos amis anglais les clés du Clos des Papes, vous ne me prendriez pas au sérieux. Mon projet est bien plus ambitieux comme vous allez pouvoir le constater.
Tout d’abord, pour couper court à mon soi-disant désintérêt pour le Grenache, en dépit de mes récentes frasques, sachez qu’icelui me doit beaucoup.
Incommensurable orgueil !
J’en conviens, et pourtant c’était au temps où le regretté Paul Avril présidait le Comité National Vins de l’INAO. La République me dépêcha dare-dare sur les terres chères au feu baron Le Roy de Boiseaumarié pour démêler les lances et les dagues, non des Armagnacs et des Bourguignons, mais de deux maisons antagonistes. Rien ne pouvait plus les rassembler, même pas le Grenache. Dans les litanies des conflits, pensez-donc, même la fameuse bouteille écussonnée, aux armes du Pape se trouvait prise en otage. Allais-je devoir, tel Salomon, menacer de la trancher en deux ? Pas très pratique pour livrer le nectar, fils du Grenache et de quelques autres géniteurs, aux fines papilles de nos amis anglais.
Belle transition pour revenir à mon sujet du jour en vous proposant quelques tranches de « l’un des plus grands romans humoristiques du siècle » selon Anthony Burgess : « Augustus Carp » de Sir Henry H. Bashford.
Pourquoi diable, me direz-vous ?
Tout bêtement pour vous démontrer, sans l’ombre d’un doute, qu’ « Accéder à la splendeur d’un Grand Grenache est plus aisé que de goûter l’Humour Anglais ». Subsidiairement aussi pour justifier mon anglophilie déclarée mais contestée par notre Hervé.
Bien sûr j’ai lu ce livre en français mais avec l’onction du défunt académicien Pierre-Jean Rémy « Comment le traducteur a-t-il su s’y prendre pour nous donner l’illusion de lire en anglais ? ». Entendez-moi bien chers lecteurs même si goûter l’humour anglais est plus mal aisé que d’accéder à la splendeur d’un Grand Grenache, ce n’est pas pour autant mission impossible surtout avec « Augustus Carp » publié en 1924 dont l’incandescence satirique est sans pareille. Je suis à peu près sûr de vous convaincre même si l’humour anglais se mérite.
Démonstration !
Le baptême d’Augustus Carp ou l’art du slips au cricket
« ... je venais à peine d’être tendu au vicaire quand survint une exacerbation si vive de mon érythème que, dans les convulsions qui s’ensuivirent, il fut incapable de me tenir [...] Cependant, ayant chu des bras du vicaire, je restai un moment en équilibre sur le bord extrême des fonts puis, basculant vers l’avant, entrai en collision avec le pasteur qui, dans un effort pour me sauver, fit un faux pas en arrière. D’un mouvement que j’estime inspiré par la meilleure science balistique, je rebondis alors du pasteur titubant vers les pieds du vicaire adjoint qui devint inopinément l’instrument de la Providence. Je ne suis pas personnellement adepte des disciplines dites athlétiques, que d’ailleurs, je n’approuve guère. Mais en l’occurrence, il fut peut-être heureux que le vicaire adjoint en question se trouvât être un fin joueur de cricket. Car, alors que le sang se figeait dans toutes les veines et que ma tête n’était plus qu’à un pouce du sol, il projeta ses mains en avant et réussit à m’attraper, accomplissant du même coup le geste connu, je crois, sous l’appellation technique de slips. »
Le choix de la profession d’Augustus Carp ou la langue française fait obstacle
«Pendant un certain temps aussi, nous examinâmes soigneusement les éminents mérites de la diplomatie pour laquelle, nous en convînmes, mon père et moi, j’étais à bien des égards admirablement prédisposé. Et je reste convaincu que j’aurais trouvé, dans le poste d’attaché comme dans celui d’ambassadeur, un emploi conforme à mon tempérament et à ma foi. Malheureusement, une telle carrière impliquait l’apprentissage de la langue française avec tous les périls afférents, et mon père ne put se résoudre à m’y exposer. Avait-il raison en cela ? On peut sans doute en discuter et j’ai rencontré depuis plusieurs messieurs apparemment pieux qui, non seulement, à ce qu’on m’a dit, parlaient cette langue couramment, mais avaient délibérément séjourné dans son pays d’origine. Personnellement, tout en me refusant à les condamner, je dois toutefois avouer que je partage les vues de mon père et je m’avise sans déplaisir que le pasteur de ma paroisse est précisément de la même opinion. »
L’entrée dans la vie de jeune homme d’Augustus Carp ou le temps des vices
« Fort heureusement, toutefois, et en grande partie grâce aux incidents relatés qui avaient forgé mon caractère, je pris conscience d’emblée que j’étais irréversiblement engagé dans la période la plus critique de la vie d’un jeune homme, savoir les années, si fatales à la grande majorité, comprises entre son dix-septième et son vingt-quatrième anniversaire. C’est alors, hélas, enivré qu’il est de se savoir bon à marier, pour reprendre l’expression de mon père, qu’il commence à fréquenter le bureau de tabac et le débit de boissons, afin d’acheter la cigarette qui, inéluctablement, l’attirera vers la compagnie d’être veules et licencieux, et la liqueur fermentée qui les mènera que trop sûrement au cercueil de l’ivrogne.
Ce n’est pas tout. Car c’est au cours de ces mêmes années que, délaissant les joies du foyer – ces innocents jeux de groupe que sont, par exemple, le cache-dé à coudre ou le moins connu Up Jenkins *, ou encore la joyeuse réunion devant l’harmonium familiaux accents de « une souris verte » -, c’est alors qu’il pénètre dans la fosse (si bien nommée) d’un quelconque théâtre tapageur et dégradant »
- divisés en 2 équipes, douze joueurs se passent une pièce de main en main sous la table, le but du jeu étant de savoir qui tient la pièce au signal d’arrêt.
Bien évidemment, j’encours de la part de certains d’entre vous le reproche, en agissant de la sorte, de tourner autour du pot de Grenache, de me dérober à ma nécessaire repentance, mais tout arrivera en son temps. Pour l’heure, il me fallait retisser les liens de l’Entente Cordiale que j’avais brisé en une chronique gouailleuse et si représentative de mon absence de flegme face à la toute puissance de la langue anglaise en notre monde mondialisée. Il n’est qu’un point sur lequel je ne céderai pas c’est que l’on qualifiât, pour me river le clou, que celle usitée dans les tours de verre et d’acier brossé soit celle de Wiliam Shakespeare.