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12 août 2007 7 12 /08 /août /2007 00:34

 

Sylvie partait en fumée dans la solitude et l'indifférence. D'un coup d'un seul, sous la morsure violente des flammes crachées au coeur de cet étrange four, elle redevenait poussière, rien qu'un petit tas de cendes chaudes versé dans une urne anonyme par l'employé du crématorium ; sans odeur ni volute, la technologie effaçait sa trace de chair, la réduisait à l'épaisseur d'une ligne grise. Voir la gueule de ce four crématoire engloutir la boîte de bois blanc posée sur un chariot à roulettes, avec lenteur, me parut le seul instant de solennité de cette cérémonie sans rituel, pure formalité administrative. Dans le troir métallique de l'Institut Médico-Légal, étiquetée au gros doigt de pied, ensachée dans une toile rugueuse, son corps supplicié, rafistolé, tel un mannequin de son, réduisait en miettes mes beaux souvenirs d'elle. La reconnaître, l'identifier, cruelle procédure accomplie aux côtés de ces hommes en blanc, étranges médecins de la mort, froids, précis et affairés, qui à la pointe de leur scalpel traquaient les stigmates de l'éternelle barbarie des hommes. Ici, en bord de Seine, dans cette bâtisse trapue et laide, on charroyait indifféremment aussi bien les malchanceux, les exclus, les paumés, tous ceux qui avant leur mort violente survivaient dans la marge, sans nom ni staut, que les soi-disant heureux frappés par la main meurtrière d'un amant, d'un ivrogne, d'un mari ou d'un peu tout ça à la fois. Curieux mélange sur les tristes registres de la lie et du bon grain ; comptabilité sinsistre des futurs locataires de la fosse commune. En contemplant la fermeture des lourdes machoires de la porte de fonte du four je laissais traîner mes pensées dans l'anonymat de ce no man's land administratif, forme la plus anonyme du vide afin de m'épargner de songer à mon avenir.

Mon effroi muet devait impressionner Dornier. En retrait, il affichait la dose de bons sentiments prescrite en de telle circonstances. Après tout, il avait rempli son contrat. J'étais coincé. En choisissant le crématorium du cimetière Montparnasse, au plus de notre gare d'arrivée, confusément, j'acceptais mon sort. Cette fois-ci je lâchais prise. En peu de mois, moins de six, mon avenir, en deux boucles aussi brèves que brutales, de bel et grand basculait dans le sordide ordinaire. Des mots de Gainsbourg, avec son génie des mots troubles - troublants comme des pieds pataugeant dans un fond vaseux souillent l'eau claire - m'emplissaient la tête, revenaient en boucles : les sables émouvants. Je m'enfonçais. Je m'enfouissais. Je disparaissais. Avant la mort de Sylvie tout restait encore possible. A tout moment je pouvais m'esquiver, faire un pas de côté, retrouver la terre ferme, la vraie vie. Me remettre à marcher droit en cessant de me complaire dans le malheur. Certes, la perte de Marie me privait d'un point d'appui, de mon roc. Tout aurait été plus difficile mais en me laissant porter par Sylvie j'aurais trouvé la force de m'extraire de ce purgatoire. La rémission restait ouverte. Je vivais un temps de latence. Maintenant, avec cette urne dans mon sac, sur le quai 3 de Montparnasse, après avoir accepté cet ignoble contrat, je filais droit en enfer. 

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