Pour nos pères, un bon vin, devait être vieux, tuilé, précisaient-ils. Le vin bouché par eux ou par d'autres, couché dans la pénombre de la cave, sa bouteille se nimbant de poussière et de toiles d'araignée, se bonifiait disaient-ils.
Plus c'était vieux plus c'était bon. Combien de bouteilles nazes ai-je vu ainsi déboucher, la couleur était belle : très pelure d'oignon, et mon père disait, pour nous rassurer, qu'il était madérisé.
Bref, le socle de l'excellence du bon vin de France pour monsieur Tout le Monde - bien évidemment je n'englobe pas dans ce vaste cercle, le Cercle raffiné et restreint des connaisseurs, dont certains, du côté de la Sorbonne, s'apparentent aux Précieuses Ridicules - c'est le chenu, le mature, le sage, celui qui a jeté sa gourme et qui, dans la sérénité du grand âge, donne sa pleine mesure. Alors, les vins ordinaires pour jouer au grand se paraient des charmes tranquilles de la vieillesse. Pour preuve, le dernier survivant de cette lignée, le Vieux Papes, reste la référence de ces consommateurs baptisés par la statistique : les réguliers. Quand on puise dans le stock des vieilles étiquettes on y découvre une profusion de vieillards : Vieux Ceps, Vieille Treille, Vieil Ermite, Vieux Logis, Vieux Moulin, Vieille Réserve, Vieil Ermite, les Vieux Pampres, les Vieux Fagots, Vin des Aïeux, Vieille Souche, Le Vénérable, et pour finir j'ai même découvert le Vin Vieux des Coteaux (c'était un vin de coopérative).
Mais la vieillesse ne suffisait pas forcément à asseoir la réputation du vin quotidien, très souvent les nectars se voulaient royaux, ou impériaux, ou s'anoblissaient. Par bonheur, notre chaîne nobiliaire qui recèle des déclinaisons : prince, duc, comte, vicomte, baron, marquis, et si on y ajoute les chevaliers, les connétables, les troubadours, donnait, et donne encore, aux marketeurs une inspiration inépuisable. Nous avons coupé la tête de notre roi, aboli les privilèges, vendus les châteaux comme Biens nationaux, mais le bon peuple reste fasciné par la particule et le titre nobiliaire. Restait aussi à côté du sabre, le goupillon : nos étiquettes de vin aimaient aussi se parer de moines rubiconds, car n'en déplaise à notre éminent Pitte, dans les monastères on ne produisait pas que des nectars pour gosiers de riches. Tout ce passé, que certains voudraient occulter sous l'étrange prétexte que le vin était alors une boisson, pèse très lourd, aussi bien en positif qu'en négatif, dans la perception que nous-même avons eu du vin. Dans une certaine mesure, l'irruption des AOC nous a dédouané : boire moins, boire mieux et c'est cette vision un peu repentante, parfois élitiste, que nous avons transmis à la génération de nos enfants.
Où est-ce que je veux en venir me direz-vous ?
A une conclusion très simple : en France, le vin, dans l'imaginaire d'une grande part de la nouvelle génération, est une boisson de vieux, de gens un peu compassé, très prout prout ma chère, des gens qui font du chiqué, qui se la pète grave, il ne fait pas parti de l'esprit du temps. Tant mieux me diront certains, nous n'allons tout de même pas faire la danse du ventre pour séduire les sauvageons.
Nous n'allons pas succomber au jeunisme ambiant. N'en jetez plus, je suis d'accord avec vous. Cependant, si vous voulez bien me suivre, parlons d'une boisson très tendance, pleine de bulles : le Champagne. Pour les teufeurs ce n'est pas du vin. C'est d'la mousse ! C'est joyeux, ça danse, ça ne casse pas comme le TGV : tequila-gin-vodka...
Ce que je veux dire, c'est qu'on peut être dans l'air du temps sans baisser sa culotte, sans renier ses valeurs, sans jeter aux orties nos traditions. Mais pour être dans l'air du temps il faudrait que les gens du vin soient dans leur temps, qu'ils sortent de leur blokhaus professionnel. Partout dans le monde le vin, quel que soit son statut, est un must, alors que chez nous il fait l'objet d'une forme non révisée de guerre de tranchées...