Marie aimait l'océan. Dans son maillot de bain une pièce blanc nacré c'était une sirène. Elle glissait vers le large pour n'être plus qu'un petit point à l'horizon. Moi le terrien balourd je l'attendais sur le sable pour l'envelopper dans un grand drap de bain. La frictionner. La réchauffer. Lui dire que ne nous ne nous quitterions jamais. Elle répondait oui. La serrer fort pour entendre son coeur cogner contre ma poitrine. Ce premier jour d'elle, pendant tout le temps où elle n'était encore qu'elle, j'en garde bien plus qu'un souvenir, je le vis chaque jour. A ma question idiote elle avait répondu, en empoignant son cabas de fille, un oui extatique, en ajoutant " c'est mon univers Benoît..." Nous nous levions. Naturellement elle passait son bras sous le mien. Les cercles s'ouvraient. Nous les fendions tout sourire. Certains des à elle, et des à moi, nous lançaient des petits signes de la main. Aucun ne s'étonnait. C'était cela aussi le charme de mai, ce doux parfum de folle liberté, coeur et corps, hors et haut. J'étais fier. Elle traçait un chemin droit. Nous laissâmes le fracas de la nouvelle place du Peuple derrière nous. Sur le cours des 50 otages nous croisions un groupe de blouses blanches remontées., bravaches comme s'ils allaient au front. Dans le lot, un grand type tweed anglais, noeud pap et Weston, gesticulait plus que les autres, l'oeil mauvais et le rictus aux lèvres. A hauteur, il vociférait " alors Marie on se mélange à la populace..."
Les doigts de Marie se faisaient fermes sur mon bras. Nous passions outre. Elle, devenue enfin Marie par le fiel de ce grand type hautain, d'une voix douce, me disait comme à regret, " ne vous inquiétez pas Benoît, ce n'est qu'un de mes frères... Il est plus bête que méchant..." Tout en elle me plaisait. Elle m'emballait. Je la suivais. Elle me montrait un vieux Vespa vert d'eau. Je la suivrais tout autour de la terre, au bout du monde, là où elle voudrait. Pour l'heure, sans casque, nous filions vers Pornic. Filer est une façon de parler car l'engin ronronnait comme un vieux chat mais nous laissait le loisir d'apprécier le paysage et de papoter. Tout un symbole, elle conduisait et moi, avec délicatesse j'enserrais sa taille et je l'écoutais. Quel bonheur de se taire. Marie parlait. De moi surtout et j'avais le sentiment d'être dans sa vie depuis toujours. Spectatrice de nos palabres interminables elle avait su pénétrer dans les brèches de mon petit jardin d'intérieur. Moi, le si soucieux de préserver l'intégrité de celui-ci, je ne prenais pas cet intérêt pour une intrusion. Marie la douce me disait tout ce que je voulais ne pas entendre de moi et je l'entendais.