Philémon Bossis, en écho à mon propre questionnement, dans les commentaires de ma chronique " dictionnaire des idées reçues " m'interpelle " c'est quoi, monsieur, un vin industriel ? " Je pourrais m'en tirer en répondant que si j'ai posé la question à monsieur Gerbelle c'est que je ne connaisssais pas la réponse. Mais, comme je suis un bon garçon et que je respecte mes lecteurs, je vais tenter d'éclairer le sujet pour Philémon.
Tout d'abord, c'est du vin selon la définition traditionnelle, donc le produit de la fermentation naturelle de jus de raisins frais. Pour industriel, reportons-nous au Robert qui nous réponds : qui à rapport à l'industrie. L'industrie c'est, au sens large, la transformation de matières premières en produits fabriqués, impliquant la centralisation des moyens de production, la rationalisation et l'utilisation du niveau technique le plus avancé de la mécanisation à l'automatisation. En France, la fabrication du vin, même dans les plus grands outils coopératifs, n'est pas le fait d'unité industrielle, de véritables wineries.
Pour autant, et c'est là où l'affaire se complique, l'utilisation du niveau technique le plus avancé, dans les vignes, comme dans les chais, est le fait, aussi bien des châteaux les plus prestigieux que de producteurs vins plus modestes. Comme dans le pain (cf mes chroniques sur la chaîne de boulangerie Paul des 2 et 3 novembre 2005) on peut à partir d'une matière première noble produire un produit de haute qualité en adoptant un process hyper rationalisé. Ainsi, à Laguiole, André Valadier, à partir d'un lait de vache Aubrac respectant des fondamentaux alimentaires, produit dans sa coopérative Jeune Montagne, sur la base d'un process industriel, un fromage AOC de haute valeur. Inversement, un process artisanal n'est pas forcément la garantie d'un produit final de qualité.
Mais, cher Philémon, nos vaillants pourfendeurs des vins, qu'ils disent industriels, utilisent à dessein ce qualificatif au sens du XIXième siècle " qui agit avec ruse et malhonnêté " en sous entendant produit en quantité industrielle, donc des vins uniformes, formatés, reproductibles à l'infini comme nos petites voitures : des vins Twingo avec des étiquettes flashies pour séduire le gogo. Car nous en France il nous faut produire que des Rosengard, du fait main, pièce unique et tout le tintouin. Ha, si les choses étaient aussi simples ça se saurait et ce n'est pas sur la base d'une approche volontairement réductrice, qui jette l'opprobe sur tout ce qui ne correspond pas aux canons de quelques juges aux élégances autoproclamés que nous apporterons aux consommateurs une information digne de notre produit.
Quand cesserons-nous d'opposer des modèles fantasmatiques ? Notre France du vin est, pour une part, vigneronne et c'est bien ainsi. Mais au nom de quel dogme devrions-nous priver l'autre partie de notre viticulture du droit de vivre sur des bases diférentes, correspondant à une demande solvable de grands pays découvrant le vin. J'ai écrit vivre, pas survivre Philémon, ce qui signifie que cette forme de viticulture puisse, en termes de compétitivité, s'adapter. L'espace de liberté c'est le desserement de la contrainte mais ce n'est pas pour autant le n'importe quoi. Quand accepterons-nous d'arrêter de nous envoyer à la figure des slogans ineptes ou d'inciter des viticulteurs à aller badigeonner sur les caves " non à Cap 2010 " alors qu'ils ne l'ont jamais lu. Les donneurs d'ordre ont la mémoire courte, comme leurs idées d'ailleurs.