De nos jours chahutés, où les chapelles se toisent, où les anathèmes tombent drus, où les noms d’oiseaux volent bas, chez les œnophiles éclairés, en société, dans les étages élevés ou au ras des pâquerettes, dans les beaux quartiers mais aussi au fin fond des bistrots branchés ou de quartier, à propos des guides divers et variés, des spécial Vins, pour tout et rien, il est de bon ton d’avoir du terroir plein la bouche.
Terroir, mot intraduisible en une autre langue que notre belle langue le français, qui permet aux éminents commentateurs d’aller y puiser de la minéralité ou d’affirmer qu’il est le jardin de Gethsémani où la vigne doit entreprendre son chemin de croix, souffrir, saigner pour aller à l’essentiel ou encore d’abreuver les malheureux consommateurs, en général ignares, de termes géologiques barbares sur les contre-étiquettes.
Bref, le terroir c’est tendance. Nous lui devons le respect dû aux Anciens. Le vénérer. Le chérir. L’aduler. N’en tirer que la quintessence en laissant aux Nouveaux Barbares le soin de complanter leurs vignes dans une terre vile, assoiffée, livrée à des hordes de va-nu-pieds, pour en faire pisser des flots colorés. Le terroir c’est notre côté black béret revisité par les nouveaux adeptes du naturel chers au cœur de Michel Bettane. C’est la plus belle illustration du concept français d’exception culturelle, fil d’Ariane d’un Mitterrand à l’autre. C’est le retour en grâce des vers de terre de mon grand-père, de Nénette sa jument, de la décavaillonneuse... Le Terroir c’est l’enracinement profond en ces temps de mondialisation.
Ne voyez pas dans mes propos matinaux une once d’ironie mais plutôt une volonté d’apporter un soupçon de rationnel dans le lyrisme ambiant. En effet, le terroir c’est l’origine, le lieu de résidence permanent de la vigne qui a des papiers puisque c’est une AOC ou une AOP, à la rigueur une IGP même si ça contrace le Professeur. Alors, comme des esprits mal embouchés ont imposé à nos belles AOC, que le monde nous envie, une dégustation une fois le vin fait, avec l’idée d’y trouver de la typicité locale, je trouve qu’il serait plus logique d’imposer, avant toute chose, une dégustation du terroir.
Là vous vous dites, mezzo voce, que je detrancane (que je n’ai pas toute ma tête) Détrompez-vous, je suis plus sérieux qu’un Pape et je vais vous en faire la démonstration.
Mon projet, n'ayons pas peur des mots, révolutionnaire, que je vais soumettre à « Sans Interdit » http://www.berthomeau.com/article-1582091.html le Think tank, que le monde entier nous envie, qui roupillait un peu ces derniers temps mais qui va reprendre le collier à la rentrée, repose sur les travaux empiriques de Gnazio Manisco, l’un des plus grands spécialistes du Terroir du Grand Sud. Sans plus attendre je vous livre le fond de sa pensée aussi profonde qu’un terroir de Grand Cru Classé.
« Or la terre était bonne, Gnazio l’avait goûtée, toise par toise, avec sa fiasque de vin. Il se baissait à chaque pas, prenait entre pouce et index une pincée de terre qu’il posait sur sa langue et dégustait. Il fallait qu’elle ne soit ni trop amère ni trop salée, ni trop douce ni trop aigre, ni trop sèche ni trop humide.
« La saveur des terres bonnes et fines / est celle des natures féminines », avait-il entendu dire au bonhomme Japico, du temps où il était ouvrier agricole. Ensuite, il se rinçait la bouche d’une gorgée de vin, avançait d’un pas et se baissait pour en prendre une nouvelle pincée. »
La méthode est donc d’une simplicité biblique. Reste à former les dégustateurs de terroir. Ce ne devrait pas être plus malaisé qu’actuellement de formater ceux dont de beaux esprits nous disent qu’ils sont capables de déceler d’un seul coup de langue, les yeux fermés, la typicité d’un Pouilly Fuissé. Mes amis du CAC de l’INAO devraient trouver là du grain à moudre. Certains n’objecteront que le terroir de référence de Gnazio Manisco, du côté de Vigàta, en Sicile, même si l’on y produit du vin et de l’huile d’olive, ne peut être un modèle pour l’inégalable TERROIR de la France du vin. Je serais tout prêt à en convenir le jour où les défenseurs de la typicité m’auront démontré la pertinence de leur bouzin. D’autres, les « naturistes » vont m’accuser de mettre en danger la santé des dégustateurs en leur faisant laper des trucs pas très chrétiens épandus sur le dit terroir. Là, comme je suis un coquin, je me dis que ce serait peut-être un bon moyen pour revenir à des pratiques un peu plus respectueuses du dit Terroir.
Bon, j’arrête de décoconner mais avouez, chers lecteurs, que ce serait un beau et magnifique spectacle que de voir, en plein cagnard, sur les coteaux, des experts des commissions de l’INAO se baisser pour prendre une pincée de terroir, de le goûter, de prendre des notes sur un petit carnet prévu à cet effet par l’ODG, puis s’envoyer une gorgée de vin pour de rincer le palais.
D’ailleurs, comme je suis malicieux, il serait peut-être judicieux de coupler les 2 dégustations. À mon avis les résultats de la première en seraient sûrement améliorés. Le seul souci, afin d’éviter de tomber en fin de journée sous les foudres de la maréchaussée, serait de ramener en autocar à leur hôtel nos dégustateurs de terroir. Un truc que les ODG devraient pouvoir facilement organiser, ça occuperait le directeur.
Enfin, imaginez combien de sommes, d’articles, de guides pourraient être écrits sur les dégustations comparatives entre les différents terroirs ; de Pomerol et de Lalande-de-Pomerol par exemple.
L'idée est lancée à tous les vents. Que deviendra-t-elle ? Je ne sais. Peut-être me vaudra-t-elle d'entrer dans l'Histoire de nos beaux terroirs au même titre que Capus ? Où, ironie à la française, face au dédain de mes pairs les barbares du Nouveau Monde vont se précipiter sur elle pour nous refaire le coup du jugement de Paris. Bref, j'attends avec impatience l'interview de la RVF, la reconnaissance éternelle des vignerons de Sève, une note en bas de page dans le prochain livre du Professeur, un article pour moi tout seul dans le Spécial Vins 2010 du POINT, une place de PQ au Comité National Vins&Eaux-de-vie de l'INAO, Q...
La Gloire enfin !
à bientôt sur mes lignes...
Vocabulaire sicilien puisé dans le dernier bijou d’Andrea Camilleri : Marruza Musumeci chez Fayard dont je vous causerai un de ces 4 et, bien sûr, Gnazio Manisco en est le principal protagoniste.
Detrancaner : ne plus avoir toute sa tête
Contracer : contrarier
Décoconner : déconner