Les ligues féministes alliées pour l'occasion avec les ligues de tempérance vont, au vu du titre de ma chronique, me clouer au pilori. J'assume tout en me réfugiant derrière l'imparfait marquant qu'une évolution est en marche. Pour le vin c'est une réalité, la gente féminine oenologise, les chais se féminisent même si les stars de la profession sont encore des mâles. Plus encore les femmes vigneronnes plaisent aux médias, c'est tendance. En revanche dans les fournils le mitron règne encore. La Boulangère reste encore la femme du boulanger - Ha ! Pomponnette - celle qui sert les miches et rend la monnaie aux clients... Alors ce matin attardons-nous sur ce vieux compagnon du vin : le pain en remontant jusqu'aux dieux grecs.
« Les dieux grecs recevaient en sacrifice un pain rituel, non cuit, dont la fine farine était pétrie d’huile et de vin. Ce psadista rassemblait ainsi les trois aliments de base : pain, huile et vin. »
Toujours la Trinité fondamentale !
Comme le note Maguelonne Toussaint-Samat « bien qu’avant eux l’humanité ait consommé la farine sous forme de bouillie puis de galette, sans négliger ces préparations – bien au contraire –, les Grecs ont fait de la boulange un art véritable. Athénée a dénombrée, au IIIe siècle de notre ère, au moins soixante-douze pains différents qui avaient cours depuis fort longtemps. Et le boulanger Théanos eut les honneurs de citations de son talent exemplaire par Aristophane, Antiphane et Platon. »
« […] il revient aux Grecs d’avoir inventé le véritable four préchauffé à l’intérieur et s’ouvrant de face, qui sera ensuite utilisé en cuisine. »
« Si la mouture était une tâche assignée aux femmes esclaves, comme dans toute l’Antiquité et encore en Afrique et aux Amériques, il semble que le pétrissage ait employé – mais dans quelle mesure ? – une main d’œuvre féminine, comme à la cuisine. »
« Malgré leurs contacts étroits avec les Grecs, les Romains ne s’intéressèrent à la boulange qu’à partir du VIIe ou au VIIe siècle avant notre ère. Jamais la foule ne réclama panem et circenses à un quelconque Néron. Ces mots sont extraits d’une fulminante et méprisante adresse de Juvénal (Satire X-81) aux Romains de la décadence, « tourbe dégénérée des enfants de Rémus » (il leur reproche de ne se préoccuper que de la « bouffe » et des jeux gratuits)
« Les Grecs, fous de boulange, avaient formés des boulangers pour les besoins de leurs comptoirs et les Gaulois, avec le talent que nous nous connaissons, n’avaient pas tardé à devenir des mitrons remarquables. La qualité de la baguette qui fait notre renom au Japon ou en Amérique tout autant que nos parfums ne date pas d’hier ! D’autant que, déjà initiés à la bière par les Grecs, les Gaulois avaient très bien compris l’intérêt de la levure de bière (spuma concreta), mousse formé par la fermentation sur le dessus du liquide et déjà constatée par les Egyptiens. Cette levure faisait un pain très léger et bien gonflé que l’on trouvait à juste titre, délicieux.
« Contrairement aux habitudes grecques, les femmes ne font jamais le pain […] Le pain est une affaire masculine. »
« Le pain fit rapidement partie du service de table. À partir de l’installation des Francs jusqu’à la Renaissance, une épaisse tranche de pain, le tranchoir, posé ou non sur une sorte de plat en bois ou une planche, qui peut être également désignée comme tranchoir, reçoit les morceaux de viande et leur sauce. On dispose un tranchoir entre deux convives qui partagent ainsi ce pain. Ils ont donc des « com-pain », des compagnons qui deviendront des copains. »
Cet ensemble de citations est bien sûr tiré d’« Histoire Naturelle&Morale de la Nourriture » Prix d’Histoire de la Société des Gens de Lettres, de Maguelonne Toussaint-Samat, historienne, journaliste et écrivain, petite-fille et arrière-petite-fille des fondateurs du Petit Marseillais, Jean-Baptiste Samat et Toussaint Samat, est publié chez Bordas novembre 1987 (on le trouve en vente sur le Net).