Depuis 1976, l’Union Européenne en matière de plantation nouvelle de vignes vit sous un régime général d’interdiction de planter qui souffre des exceptions, gérées au niveau des états membres (en France via les syndicats de défense devenus des ODG et l’INAO et l’ex-ONIVINS fondu dans FranceAgriMer), pour les vignobles de vins à Indication Géographique : AOC et Vin de pays dans l’ancienne terminologie. L’organisation commune des marchés (OCM unique) prévoit, qu’au-delà du 31 décembre 2015, avec possibilité pour les Etats membres de le maintenir pour tout ou des parties de leur territoire jusqu’au 31 décembre 2018, le régime dit des droits de plantation sera supprimé.
Cette décision communautaire, outre qu’elle permettra aux Vins sans Indication Géographique – auparavant dit Vins de Table – qui n’en bénéficiaient pas, de faire croître leurs superficies plantées, va aussi induire une dérégulation qui peut s’avérer dommageable dans les aires d’AOC où les surfaces non plantées sont, dans beaucoup de régions, équivalentes à celles plantées. Le Ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, en confiant à Madame Vautrin, députée de la Marne, une mission sur « les voies et moyens d’une nouvelle régulation » a remis l’ouvrage sur le métier. Ayant participé à ce travail je ne puis m’exprimer sur la question.
Pour vous informer j’ai donc décidé de donner la parole à 2 acteurs majeurs de la vallée du Rhône : Christian Paly et Michel Chapoutier. Deux fortes personnalités qui se côtoient au sein d’Inter Rhône. Le questionnement a été réalisé sans communication entre les deux interviewés et j’ai attendu la réception des deux avant publication. L’ordre de passage est celui de l’arrivée des réponses. Il va s’en dire, mais ça va mieux en le disant, que les propos que vous allez lire aujourd’hui et demain, n’engagent que leurs auteurs et les organisations qu’ils représentent. Telle est la fonction de mon « espace de liberté » et, bien évidemment, il reste ouvert à tous ceux qui souhaiteraient contribuer au débat.
Aujourd’hui donc, la parole est donnée à Christian Paly qui a présidé au devenir de la CNAOC juste avant l’ami Pierre Aguilas. Etant donné que c’est un jeune homme, et que je suis moi une barbe grise, nos routes ne se sont que peu croisées lorsque j’étais aux manettes. Christian Paly a du talent, pugnace, il fait parti de ceux qui aiment mener les combats difficiles. Vigneron à Tavel, il préside aux destinées de la cave de cette appellation bien connue. Depuis décembre 2008, Christian Paly a été élu pour trois ans à la présidence d’Inter Rhône ce qui fait de lui un des grands acteurs du monde de la production. Au plan international Christian Paly est l’un des dirigeants d’une nouvelle organisation : l'Efow qui regroupe la Confédération nationale des producteurs de vins d'appellation d'origine (Cnaoc) pour la France, ses équivalents italien (Feferdoc), espagnol (CECRV) et hongrois (HNT), ainsi que l'Institut portugais des vins de Porto et de Douro. Le président de l'Efow, l'Italien Riccardo Ricci Curbastro, lors de la création a souligné la communauté d’intérêts sur certains sujets et tout particulièrement la suppression programmée du système de contrôle des droits de plantation des vignes. Il était donc tout désigné pour donner le point de vue des producteurs sur le dossier des droits de plantation. Merci beaucoup Christian Paly d’avoir accepté mon invitation sur mon Espace de Liberté.
1ière Question : Un de mes lecteurs, Daniel Berger, grand amateur de vin, mais aussi bon connaisseur de notre réglementation, me posait la question l’autre jour : cette histoire de droits de plantation c’est encore une histoire française, un truc de défense de droits acquis. Christian Paly vous êtes SG de l’EFFOW alors expliquez lui en quoi votre combat pour le maintien de l’interdiction de planter sur le territoire de l’UE, exception faite des AOP-IGP, est soutenu par les autres pays producteurs de vins à Indication Géographique.
Christian Paly : Tout D’abord, je voudrais préciser à votre lecteur, Daniel, que je ne connais pas d’activité économique ou d’entreprise privée qui libéraliserait sa production manufacturière lorsque les marchés sont tendus ou à peine équilibrés. La régulation a toujours fait partie de la donne économique, y compris libérale. En second lieu, il ne s’agit pas d’une « coquetterie » française, l’ensemble des pays producteurs membres de EFOW sont sur la même longueur d’onde : les droits de plantation sont un outil privilégié de régulation à part entière et à sauvegarder.
2ième Question : Après l’épisode : seul le marché décide, l’heure est à la régulation. En quoi dans le modèle AOC où les producteurs ont la main au travers de l’INAO sur leur rendement, la gestion administrée des droits de plantation constitue-t-elle un outil de régulation de la production ? Quels sont les arguments que vous avancez Christian Paly pour, qu’avant l’échéance de 2015, la Commission fasse une proposition au Conseil des Ministre afin que celui-ci revienne sur le Règlement de l’OCM Vin qui libéralise la plantation de la vigne dans l’UE ?
Christian Paly : Il faut le dire haut et fort, il n’existe pas de secteur économique fort, ou la plus value est équitablement répartie, sans un minimum de régulation. Ce n’est pas être un enfant de Karl MARX que d’affirmer ça. L’économie libérale a besoin d’outils d’équilibre. Les droits de plantation en font partis. Il faut savoir que de milliers d’hectares en Appellation sont potentiellement plantables du jour au lendemain en Europe. Vous pouvez imaginer les risques de déstabilisation des marchés qui pèseraient sur notre filière. De plus, la gestion des plantations se situent très en amont du marché. Elle anticipe, donc, les risques de déséquilibre entre offre et demande. Elle n’est pas couteuse pour le contribuable, contrairement aux outils de régulation a posteriori (arrachages, distillations…). En fait, il ne faut pas confondre liberté et anarchie.
3ième Question : Christian Paly, cette fois-ci en tant que Président d’Inter-Rhône vous avez pris des positions très tranchées sur la ligne de partage entre AOP et IGP dans votre bassin de production. Comme les vignobles ne sont pas étanches pouvez-vous rappeler à mes lecteurs vos propositions et surtout leur expliquer en quoi elle permettrait de mieux réguler et segmenter le marché des vins de la vallée du Rhône ?
Christian Paly : La France a la chance de pouvoir développer en parallèle deux types de viticulture : celle des indications géographiques et celle plus « industrialisée » des vins sans indication géographique. Le RHONE est une région mixte ou l’on retrouve tous ces types de vins : AOC, IGP, VSIG. C’est un atout, à la condition de gérer, de travailler de concert dans le cadre d’une segmentation claire. Le rapprochement des travaux des deux interprofessions, INTERRHONE pour les AOC et INTERVINS SUD EST pour les IGP doit nous permettre d’améliorer la lisibilité de l’offre des vins rhodaniens, de mieux segmenter nos positionnements commerciaux et de dégager des synergies marketing et commerciales entre nos AOC et IGP. Il s’agit également de créer une capacité interprofessionnelle à gérer les volumes mis sur les marchés en cohérence entre AOC et IGP. Le monde des AOC et des IGP sont condamnés à travailler ensemble afin de mieux expliquer à nos clients l’offre de nos vins régionaux et leurs respectifs positionnements sur les marchés.