Selon le psychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste du comportement animal, la crise financière que nous vivons « trouverait son origine dans la surpâture, une hyperprédation qui a décimé de nombreux mammifères. « En 1916, écrit-il dans le Point, cinq cerfs Sika sont implantés sur l’Ile Saint James près de Vancouver. L’île se révèle un paradis car la nourriture est abondante et l’on n’y croise aucun prédateur. Si bien que, quarante ans plus tard, les cerfs sont au nombre de 500. Jusqu’au jour où brutalement, ils se mettent à mourir au point de presque disparaître. Sans même qu’ils aient été victimes d’une maladie ou d’une catastrophe écologique. C’est un endocrinologue français qui va percer le mystère en découvrant que les cerfs meurent par hémorragie surrénale, provoquée par un excès de stress. En fait, les cerfs se sont tellement bien adaptés qu’ils sont devenus trop nombreux. Le nombre de rencontres fortuites a grimpé en flèche et généré chaque fois du stress, les animaux n’ayant plus le temps d’effectuer les rites de salutation ou les brames indispensables à une coexistence pacifique. »
« Un phénomène analogue est l’origine de l’actuelle crise financière […] La recherche du toujours plus a entraîné la surpâture. L’extraordinaire vitalité de l’économie américaine s’est retournée contre elle en provoquant une fuite en avant financière : on emprunte -on construit -on s’endette ; on monte des entreprise - on se casse la figure - on recommence…A force de mettre du charbon dans la chaudière, on la fait exploser. »
La goinfrerie donc, alors que la séquence médiatique qui a immédiatement précédé l’éclatement de la bulle financière semblait découvrir, avec l’envolée du prix des matières premières d’origine agricole, la réalité de la crise alimentaire : les émeutes de la faim titrait-on. La récession aidant cette grande question est rangée dans les oubliettes de nos préoccupations de bien nourris.
La période qui s’ouvre, celle des fêtes de fin d’année, où la ligne de partage entre la convivialité des petits cadeaux dans les petits souliers et des réveillons entre parents ou amis et la pure goinfrerie d’une consommation purement ostentatoire n’est pas très facile à tracer.
Comme notre beau produit, aussi inutile que nécessaire, participe grandement aux festivités, nous ne pouvons faire l’économie d’une petite réflexion sur ce sujet difficile.
N’étant pas un ascète, ni un cul pincé, et encore moins un père la morale, mais plutôt un jouisseur, je crois pouvoir me permettre de donner, non pas une réponse, mais une manière d’être qui tente de concilier le vrai plaisir et la responsabilité.
Adepte pour les plaisirs de bouche des plaisirs simples : une pomme de terre nouvelle à l’eau avec une noix de beurre salé, un œuf mayo, une tartine de bon pain avec des sardines à l’huile, un plat de coquillettes au beurre, une tomate de saison avec un fil d’huile d’olive, de l’Ossau Irraty avec de la confiture de cerises noires, une Reine de Reinette cuite au four, du riz au lait de vache jersiaise, la liste n’a pas de limites… je revendique le droit, en certaines occasions, qui ne sont pas forcément des fêtes obligatoires, de gravir les échelons pour apprécier des produits d’exception, des produits à l’image de ceux qui les font, des produits où la main de l’homme, présente et précautionneuse, laisse encore sa trace. Je revendique aussi, dans ce monde gris, le droit à la fête. Alors, vous comprendrez, qu’entre les plaisirs simples et ceux que l’on qualifie de plus raffinés, un compagnon s’impose toujours, le vin. Lui aussi, comme la nourriture, n’a nul besoin, pour acquérir ses lettres de noblesse, d’être issu de la cuisse de Jupiter.
Vivre avec nos contradictions, les assumer, à la différence du monde animal pour qui la surpâture est souvent fatale, nous pouvons nous adapter, tirer parti de nos excès et comme l’écrit Boris Cyrulnik « je crois que la grande différence est que l’homme s’adapte au monde qu’il invente jusqu’à la surpâture, alors que l’animal s’adapte au monde qu’il subit et invente beaucoup moins. C’est pour cette raison que nous allons encore une fois nous en sortir. »