Olivier Nasles, notre second invité à répondre aux 3 mêmes questions est membre fondateur du club « Sans Interdit ». C'est un œnologue engagé. En 2004 il siège au CN de l’INAO et depuis 2007 il est Vice-président du CAC (Conseil Agrément et Contrôle) de l’Institut devenu National de l’Origine et de la Qualité et il est membre de son Conseil Permanent. Pour ne pas me voir taxé de connivence par certains - le club - ou de parti pris par d'autres - mes chroniques sur le CAC - pour vous le présenter je laisse la plume à une journaliste, Dominique Fonsèque-Nathan :
« Il parait qu’il est tombé dans une barrique. 4ème génération d’une famille vouée entièrement au vin, il co-exploite aujourd’hui avec sa mère, présidente des Coteaux d’Aix, le domaine de Camaïssette, exploitation de 25 hectares, en AOC et, aussi, en oliviers, sa dernière passion. Depuis1986, il est patron d’un laboratoire d’œnologie, créé lors de son 25ème anniversaire. Cette entreprise emploie 9 salariés, conseille une centaine de domaines et de caves coopératives et présente une originalité, celle d’être le laboratoire d’analyses en spiritueux, Bière et sirop pour…Carrefour France. Echanson du Roy René, chroniqueur à France Bleu Provence etc., Olivier Nasles est devenu, au fil du temps, celui auquel on fait volontiers appel quand il s’agit de parler, déguster ou faire déguster le vin. Ancien président de la Jeune Chambre Economique d’Aix, il a, jadis, siégé au conseil municipal de Jean-François Picheral, malgré une étiquette politique différente. Boulimique d’activités, il avoue « travailler 100 heures les semaines calmes et 110 heures, les semaines de folie. » Une boutade que ses amis savent proche de la réalité. Pourtant, Olivier Nasles aurait voulu être pilote de ligne. On était en 1977, il venait d’avoir le baccalauréat. La crise pétrolière et les difficultés du marché aérien avaient entraîné la fermeture (provisoire) de l’Ecole nationale de l’aviation civile. Il raconte : « j’ai choisi la sécurité et passé mon diplôme d’œnologue. » Pendant deux ans, il prend la direction d’un grand domaine à Valensole. Le temps de faire ses premières armes avant de fonder le laboratoire d’œnologie. Si, au fil du temps, le grand jeune homme a pris « de la bouteille », au propre et au figuré, il garde sa passion pour son métier et cette alchimie entre la matière première, le raisin, et le savoir-faire des hommes accompagnant sa transformation. Ce qu’il aime c’est le mariage entre la science et l’expérience non livresque. « Mon métier, c’est d’aider le vigneron à faire un vin à son image, pas à la mienne. Si c’était le cas, on irait vers la standardisation. » Intervenant sur l’ensemble du processus d’élaboration du vin, de la production de raisin jusqu’à la mise en bouteille, présent sur le terrain, les caves, les ateliers de dégustation ou son laboratoire, Olivier Nasles compare son métier à celui d’un vétérinaire ! « Comme lui, on essaie de comprendre un être vivant qui ne parle pas, qu’on doit soigner et élever. Un être qui, à sa majorité, nous échappe et que l’on ne contrôle pas. »
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Olivier Nasles ?
Réponse d’Olivier Nasles : Oui et Non. Oui car effectivement, à quelques nuances près, cette définition de notre métier recouvre et montre la diversité de celui-ci, de la vigne à la cave, du laboratoire à l’examen sensoriel en passant par l’accompagnement commercial, tout y est.
Non car résumer le métier d’œnologue à un simple exercice scientifique est une profonde erreur. Le vin est un être vivant qu’il faut comprendre avant de lui apporter des soins. L’analyse, la connaissance de la chimie et de la biochimie ne sont que des moyens, des aides aux conseils. L’œnologue qu’il exerce en propriété, en coopérative ou en conseil, doit avant tout comprendre ce que la vigne et son raisin ont dans le « ventre » avant d’intervenir. Cette sensibilité est fondamentale car elle évite de faire des erreurs. Un bon œnologue doit comprendre qu’il ne « fait » pas du vin mais qu’il accompagne un processus naturel, qu’il peut parfois pallier partiellement à des déviations mais qu’en aucun cas, il ne transforme l’eau en vin.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi-voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans la fameuse manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Olivier Nasles ?
Réponse d’Olivier Nasles : Effectivement, le terme d’œnologue est souvent utilisé à tort et à travers. Combien de fois un oenophile ou un sommelier se voit parer du titre d’œnologue. Loin de moi l’idée de laisser penser que notre métier est supérieur, là n’est pas la question. Mais il ne faut pas confondre celui qui va accompagner la naissance d’un vin avec celui qui a la connaissance du produit et qui va pouvoir le conseiller. Un visiteur médical connaît parfaitement les médicaments qu’il vend, il n’est pas pour autant médecin ou pharmacien.
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture, je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse d’Olivier Nasles : Vous mettez là le doigt sur ce qui, pour moi, fait le plus de dégâts dans la perception du vin par les consommateurs. La République des « sachants » qui s’arroge le droit de décider ce qui est bon ou mauvais. La comparaison avec les critiques en matières artistiques est tout à fait pertinente. C’est toute la différence qu’il y a entre informer sur une œuvre et imposer son avis sur celle-ci. À force de sacraliser le vin, ces « bien-pensants » ont à la fois découragé les jeunes consommateurs qui se sentent perdus et ont peur de rentrer dans le monde du vin et surtout, ils ont fait oublier que le vin, c’est avant tout un produit qui doit donner du plaisir. Dans un de ses poèmes, Jaques Prévert disait : « Je plais à qui je plais, je suis faite comme ça, est-ce ma faute à moi si ce n’est pas le même qui m’aime chaque fois… ». Il faut arrêter de se prendre au sérieux, tous les métiers de la filière viticole ne doivent avoir qu’un seul objectif, celui de donner du plaisir au consommateur qui est le seul juge du résultat du travail du vigneron, du négociant ou de l’œnologue. La starification de certains œnologues ou critiques d’ailleurs fait partie des besoins de communication de notre société, mais elle fait souvent plus de dégâts que de bien à notre filière. Nous souffrons enfin de la mauvaise utilisation des mots. Régulièrement, les dirigeants de notre filière parlent de vins de qualité, cela est la plus belle des bêtises pour rester polis. Il y a totale confusion entre le terme « qualité » et celui de « goût ». La qualité, c’est un système d’accompagnement de productions ou de services. Nous faisons des produits à « goûts ». Le fondamental, c’est que ce goût soit pluriel. Il y a le goût du plus grand nombre, ce sont les vins de marque comme « JP Chenet », il y a le goût à la mode comme ceux des vins « Parkérisés » et puis, il y a surtout la multiplicité de goûts qui fait la richesse de notre patrimoine bachique. En résumé, le vin est et doit rester avant tout un instant de plaisir où nul n’a le droit, pas même l’œnologue, de venir nous dire ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas.