Avant que les séries américaines ne prennent le haut du pavé et que les Français se persuadent que, dans la bouche d'un avocat, l'expression "objection votre honneur !" fait partie du paysage des prétoires de notre doulce France, l'image de l'avocat pénaliste s'incarnait dans les figures hautes en couleur de Me René Floriot, l'avocat du Dr Petiot, de Me Moro Gaffieri, l'avocat de Landru, ou dans celles des avocats politiques Me Jacques Isorni, l'avocat de Pétain, Me Henri Leclerc, l'avocat des gauchistes et de Richard Roman et, bien sûr, "L'avocat de la Terreur" Me Jacques Vergès. Ils plaidaient avec brio et éloquence. Sauvaient la tête de leur client - pas toujours - par l'alchimie de leur verbe et d'une connaissance profonde de leur dossier. Au cinéma, notre Jean Gabin national qui, en vieillissant glissait du prolétariat vers la haute bourgeoisie, incarnait Me Gobillot, avocat quinquagénaire qui compromettait sa carrière et son ménage pour la belle Yvette, Brigitte Bardot, jeune et jolie cambrioleuse qu'il défend, dans "En cas de malheur" de Claude Autan-Lara film tiré d'un livre de Simenon.
Ce sont maintenant de quasi-brontosaures supplantés par les sémillants et survitaminés avocats d'affaires type Mitch Mac Deere, Tom Cruise, dans le film de Sydney Pollack "La firme", qui sont chassés par les grands cabinets d'avocats, en l'occurrence ici chez Bendini, Lambert, Locke. Ce sont des logiciels ambulants capables de générer des honoraires comme une truie gestante des portées pharaoniques. Des jeunes loups qui ne rêvent que de devenir associés pour entrer dans le gotha des fusions-acquisitions du siècle. Des clients rêvés pour nos Grands Crus Classés, nos grands Champagne et autres grandes eaux-de-vie Armagnac, Cognac et bien sûr Calvados. Des clones bronzés à demeure, buiseness class, grosses cylindrées, femmes de rêves et pas forcément très regardant sur le fond des dossiers, du pain béni pour les auteurs des best-sellers US.
Chez nous, une déjantée du barreau, Hannelore Cayre, écrit des petits polars jubilatoires. Son personnage fétiche, Christophe Leibowitz-Berthier, un avocat cynique et pétochard, alcoolo, un pervers polymorphe que la gente judiciaire surnomme "l'étron", défend la lie ordinaire des prétoires : proxo, dealers, détrousseurs de matos électronique, souvent commis d'office... et en profite, c'est lui qui mène le récit, pour tirer des scuds sur ces chers collègues et porter un regard sans concession sur le quotidien de la justice ordinaire. Morceaux choisis.
"Doué en rien et bon à tout, je m'étais inscrit après le bac sur les conseils de mon père dans ce qui était d'abord une fac de droite avant d'être une fac de droit."
"Quand j'étais bourré et en forme, je répondais à leurs avances. Ma cible de prédilection était le genre femmes d'affaires dans les médias : quarante ans d'égoïsme et une très haute opinion d'elles-mêmes. Elles m'invitaient à dîner ; je faisais mon show en choquant juste ce qu'il fallait leurs amis, un aréopage de pédés et de filles sous anxiolytiques, et quand les convives étaient partis du grand appart Marie-Claire déco, je sautais l'hôtesse en lui faisant faire à peu près n'importe quoi.
J'aime particulièrement l'expression "faire subir les derniers outrages". La détresse sentimentale de ces femmes à couilles est telle qu'elles les acceptaient, du premier au dernier, entre rire et larmes."
"Du côté avocats, il n'y avait à peu près que des types travaillant dans le droit des affaires. Cela n'était pas inscrit sur leur front, mais le côté sûrs d'eux, à l'aise dans le fric, faisait qu'on pouvait les confondre avec des cardiologues de Neuilly."
"Des tours entouraient ce que dans les années 70 on appelait une agora ; une branlette d'architecte qui en élaborant sa maquette avait dû prévoir comme un démiurge que le bon peuple se rassemblerait en son centre pour "communiquer". Aujourd'hui, on appelait ça une dalle et on y dealait du shit."
" Le pire, c'est un pointillisme obsessionnel par rapport à un règlement intérieur datant de 1839 que Fresnes, établissement mythique de la discipline pénitentiaire, est encore la seule à appliquer. On citera pêle-mêle la règle du silence, la marche en colonne contre les murs, les incessantes fouilles à poil où l'on doit se baisser, montrer sa rondelle et tousser, plus une quantité de trucs complètement dépassés."
Extraits de "Commis d'office" et "Toiles de maître" aux éditions Métaillé.
Hannelore Cayre provocatrice trash, collaboratrice de son époux lui-même avocat, mère de famille, assume son statut : "C'est mon côté bourge qui les dérange ; bourge de gauche, mais bourge quand même..."