Nous ne nous sommes, Michel Rolland et moi, jamais rencontrés, mais j'avais l'intuition, qu'au-delà de son indéniable talent, l'homme avait du panache, de la classe et, suprême qualité pour moi, l'art de dire avec légèreté des choses importantes. Ses réponses sont à la hauteur de mes espérances. Je l'en remercie. Il a pris le temps, de son précieux temps, pour répondre à Vin&Cie, minuscule média de la Toile, c'est pour moi, qui me sens parfois un peu seul face à mon écran, un réel encouragement. Enfin, comme je ne recule plus devant aucun défi, écrire à 4 mains avec lui : la verticale et l'horizontale des critiques, serait, j'en suis sûr, jubilatoire...
Question 1 :
Michel Rolland, j'aime les gens qui dérangent, et vous êtes de ceux-ci, alors dites-moi comment on devient le plus "illustre concepteur de vins du monde" ? Racontez-nous votre parcours, vos maîtres si vous en avez eu, vos intuitions, vos choix, votre saga...
Réponse de Michel Rolland :
Je n'étais certainement pas fait pour déranger, éducation de fils de viticulteur, sans château au nom prestigieux, on apprenait à écouter. J'ai écouté, longtemps, plus de 10 ans et forcément, avec un peu de mémoire et de curiosité, ça donne des idées. J'ai essayé de retenir celles qui m'intéressaient et peu à peu de les mettre en application, avec mes amis d'abord, puis sur un plan plus élargi. Et 20 ans après, on est confronté sans le chercher aux différentes écoles, il y a des courants qui se créent, avec les favorables, les enragés, les médisants, les agressifs et surtout les ignorants, ce sont les plus nombreux. Il est amusant ou attristant de voir que les principaux détracteurs souvent n'ont jamais cherché à comprendre, et n'ont jamais rencontré celui ou celle qu'ils vilipendent dans leur propos.
Depuis 1973, quand j'ai commencé à exercer l'oenologie, j'ai eu l'occasion d'élaborer beaucoup de vins : ceux qui font parler bien sûr, mais aussi un très grand nombre d'autres, et j'ai eu l'occasion de "faire" des vins vendus dans la fourchette de 1,5 euro à 500 euros. Ceux qui pourraient penser qu'ils sont tous pareils devraient y réfléchir.
Un métier comme le mien se pratique à l'inverse de "la recette", d'abord par la compréhension du produit à élaborer (du raisin à la bouteille) avec un objectif commercial, et au travers des rencontres que j'ai faites dans ma vie, depuis Mr Peynaud, mon génial professeur, à Mr Bill Harlan, génial homme d'affaires américain, en passant par beaucoup des plus grands noms du monde du vin, Mrs Antinori, Skalli, Forner, Magrez, etc... Une seule recette et un seul discours n'aurait pas suffit. Ce n'est que dans le temps, avec l'expérience et surtout beaucoup de travail que l'on se forge une personnalité qui répond aux attentes de chaque client. J'ai l'impressions d'avoir beaucoup à faire même si ma vie professionnelle a été des plus passionnantes que l'on puisse imaginer.
Question 2 :
Certains critiques - j'ai peu de goût pour la profession de critique - estiment que les vins élaborés sur vos conseils sont trop simples et monotones. Vous leur rétorquez " Je ne suis pas un intellectuel, donc je ne sais pas faire de vins intellectuels." et d'ajouter "Quand je bois, j'aime qu'il y ait une sensation de plaisir. J'aime les vins souples, issus de raisins mûrs, et c'est ce que recherche le consommateur."
Michel Rolland, c'est quoi "un vin intellectuel" ? et ce "consommateur", auquel vous faites référence, est-il unique, sans âge, sans CSP, hermaphrodite et habitant le village mondial ?
Réponse de Michel Rolland :
J'ai un peu répondu dans le 1er paragraphe mais pour revenir aux vins intellectuels et les autres : ce n'est bien sûr qu'une façon de parler, il faut savoir qu'un oenologue-consultant comme moi a en face de lui tous les jours un "client" qui lui demande de participer à l'élaboration d'un vin, qui est destiné à être commercialisé. Ce n'est plus du rêve, mais de la réalité. Il y aura donc des critères à respecter, on ne fait pas un vin de propriété comme un vin de marque et même en propriété, un produit à 5 euros ou un produit à 100 euros. Nos "chers" critiques ne focalisent que sur quelques marques connues, célèbres et chères et s'imaginent un ayatollah prédicateur enfermé dans le chai avec ses amulettes, en faisant des incantations... ou imposant une doctrine de façon totalitaire.
Il s'agit bien sûr de tout autre chose, beaucoup plus sérieux, dans lequel souvent il y a un enjeu économique non négligeable. Je m'efforce de concevoir le produit souhaité par mon client avec son terroir, son histoire, ses installations, ses objectifs... pour ses débouchés, donc ses consommateurs. alors je dirais que l'ennui, la pensée unique, le monolithisme viendraient plutôt de la critique, et si j'avais des talents d'écrivain, un jour j'aimerais bien faire la "dégustation" (figuré) des différents critiques, verticale et horizontale, en tout cas ce serait pour le moins amusant !!
Question 3 :
Conseiller le plus important de Bordeaux, éminence grise des plus grands, gourou, oenologue-star, homme pressé et ce petit Nossiter qui vous a taillé un costard, il n'empêche que vous ne laissez personne indifférent et, n'en déplaise à vos détracteurs, vous êtes un "génial innovateur" : les raisins mûrs, la fermentation malo-lactique en fût de chêne neuf, l'élaboration de vins de faible acidité, la souplesse des tanins... c'est vous. Alors, quoi de neuf sous le soleil, votre métier n'et-il pas, comme vous le craignez en débutant, redevenu "ennuyeux" ? Qu'est-ce qui fait encore "courir" Michel Rolland ?
NB. Les parenthèses sont des citations extraites du livre d'Andrew Jefford "Le nouveau visage du vignoble français chez Hachette octobre 2003 sauf génial innovateur qui est de moi.
Réponse de Michel Rolland :
Pressé je l'ai toujours été, même jeune quand je n'avais pas grand chose à faire, je savais que la vie était courte et qu'il ne fallait pas perdre de temps. Au fur et à mesure que s'est installée une certaine notoriété, j'ai souvent rempli plus que de raison mon agenda, j'avais toujours l'impression que je pouvais en faire plus (découvrir, comprendre, voyager...)
Aujourd'hui je me calme un peu, mais l'agenda est toujours plein, et je vais où je veux - luxe suprême - ça n'a pas toujours été le cas, mais toujours avec la passion et l'enthousiasme de mes 30 ans.
Compte-tenu du nombre et de la diversité de mes consultations, l'ennui n'est pas pour demain. L'assemblage, qui reste la dernière étape de mon activité, demeure très important et passionnant. C'est comme la partie d'échec ou de golf, ou n'importe quel jeu ou sport, plus on s'entraîne, plus on est fort, il ne peut y avoir de lassitude dans le plaisir.
Alors j'ai bien l'intention de courir tant que les jambes et la tête le permettront, car à l'inverse de nos penseurs qui se prennent pour des intellectuels, je m'amuse !
Au-delà de ça bien sûr, chacun a son goût, que contrairement à certains, je ne critiquerai pas (on a le droit d'avoir mauvais goût ou de s'inventer un goût de contradiction) mais il est évident que ça peut influencer la façon d'approcher les choses.
Pour conclure, je voudrais citer une phrase lue dans un livre sur la réflexion d'une dame qui participait à une dégustation. Les vins de cette dégustation, d'après ce que j'ai compris, étaient divers et variés, et sur un vin en particulier, cette pauvre femme a déclaré "oh, celui-là c'est moderne... j'ai un peu honte, mais j'aime ça". Quand on en arrive là avec son propre plaisir, ça ne relève plus de l'oenologie !!!