Avant de m'attaquer à la lecture d'un ouvrage de chercheurs j'ai pour habitude de le parcourir en diagonale, de picorer par ci par là des phrases, des notes en bas de page, des titres et je jette aussi un oeil sur les tableaux de chiffres. Tel a été mon approche d'un opus très sérieux : Vin et Politique Bordeaux, la France, la mondialisation publié par les presses Sciences Po, ayant pour auteurs Andy Smith, Jacques de Maillard et Olivier Costa. Du sérieux donc...
Dans ma lecture rapide de la courte introduction, une note de bas de page attire mon attention " Dire que l'on travaille sur le vin, surtout quand deux d'entre nous résident à Bordeaux et que le troisième en est originaire, suscite des sourires complices. Disons-le d'emblée, le choix de ce "terrain" n'est pas anodin. Travailler sur le vin, c'était pour chacun d'entre nous l'occasion d'aborder sur un mode scientifique un domaine qu'il connaît bien à d'autres titres. Il nous semble cependant qu'il y a une véritable plus-value à porter un regard de science politique sur la question des politiques vitivinicoles, volontairement croisée ici avec la représentation professionnelle des intérêts." Fort bien, me dis-je, quelle chance nous avons de pouvoir compter sur ces gens sérieux du sérail qui se meuvent avec aisance, tels des poissons dans l'eau du bocal de l'establishment de Bordeaux. Nous allons enfin comprendre ce qui se passe dans cette belle région !
Je continue donc mon butinage et, page 241, je tombe sur le tableau 22 : Les principales maisons du négoce bordelais et là je suis à deux doigts de tomber de ma chaise. Que lis-je ?
- que Castel est la propriété d'Unicoop ;
- que CVBG est la propriété de Bols ;
- que Cordier-Mestrezat est la propriété de Remy-Cointreau ;
- qu'Yvon Mau est la propriété d'Yvon Mau SA.
Très bien documenté nos amis de Sciences-Po ! Leur source, bien ancienne, 2003, tiré de Réjalot et des sites internet des entreprises, est fausse et obsolète. Sans vouloir les offenser je leur signale :
- que Castel est la propriété de Pierre Castel ;
- que CVBG était contrôlée par la holding Modus et dont la majorité vient d'être cédée par ses actionnaires, emmenés par JM Chadronnier, au groupe champenois Thiénot ;
- que Cordier-Mestrezat est depuis un petit bout de temps entre les mains du groupe coopératif Val d'Orbieu associé à TAG ;
- qu'Yvon Mau est contrôlé par le groupe espagnol Freixenet et que JF Mau lui-même a quitté la direction de la société.
- que Philippe de Rothschild SA est la propriété de Philippine de Rotchschild.
J'ajoute pour faire bon poids, qu'il eut été intéressant de signaler que LGCF, le groupe alsacien de Joseph Helfrich, à la suite de ses dernières acquisitions : Dulong et Calvet, est l'un des premiers opérateurs de vin de Bordeaux avec Castel...
Bref, pour des bordelais qui disent bien connaître le marigot il me semble tout de même un peu léger de publier un tel tissu d'erreurs. Sans préjuger, bien sûr, de la qualité de leurs travaux, dont je rendrai compte après lecture approfondie de l'ouvrage, de telles approximations laissent à penser qu'ils ne sont pas allés vraiment se frotter au réel, qu'ils se sont contentés d'une approche très universitaire privilégiant les sources papiers sur le contact avec les vrais décideurs. Détails me rétorquera-t-on, sans réels effets sur le sérieux de l'étude. Je peux en convenir mais quand on traite de gouvernance d'une grande industrie comme celle du vin, à Bordeaux qui plus est, quand les résultats de recherche appellent à une réflexion sur le rôle de l'action collective et des pouvoirs publics dans la régulation du secteur, on se doit de mettre des visages sur le nom des acteurs et, si possible, de les rencontrer pour donner un peu de chair et de sang à une démarche qui se veut scientifique. Alors, Pierre Castel, Joseph Helfrich, JM Chadronnier, JL Vallet et quelques autres autres auraient pu éclairer les auteurs et leur éviter de donner le sentiment de ne pas bien connaître la pâte humaine du négoce bordelais...