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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 06:00

Je prends des risques face à l’exécration que suscite Emmanuel Macron en soulignant que son approche de certains dossiers internationaux n’est pas à jeter aux orties sans examen.

 

Mais, je suis sans illusion, les dossiers internationaux n’intéressent guère les natifs de l’hexagone, ils préfèrent contempler le nombril et continuer de penser que la France est le centre du monde ;  lorsqu’il s’agit de l’avenir des Balkans, pourtant si proches, ils n’y comprennent goutte.

 

Les Balkans n’existent que par le regard que l’on porte sur eux depuis l’extérieur. Du point de vue des mentalités, tous les aspects péjoratifs que l’Occident a pu accoler à ce terme n’ont pas aidé à la construction d’une identité forte et revendiquée, et on retrouve fréquemment l’idée que « le balkanique, c’est l’autre »

 

« Les Balkans ne commencent pas et ne s’arrêtent pas »

Paul Garde

 

« Si cette région pose de réelles difficultés de définition, c’est parce qu’elle a toujours été à l’intersection de plusieurs mondes. À presque toutes les époques, les Balkans ont été dans une position « d’entre-deux » : entre monde grec et latin, slave et byzantin, chrétien oriental et occidental, ottoman et occidental. Les Balkans sont une région charnière entre l’Orient et l’Occident, et leur histoire mouvementée les a fait basculer tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

 

Alternativement centre ou périphérie selon les moments, région à la fois marginale, physiquement excentrée par rapport aux lieux de pouvoirs des empires dans lesquels elle a été incluse, et marginalisée car souvent laissée de côté par ces mêmes pouvoirs, elle pose un problème de définition. Par-là même, elle remet en question d’autres concepts, à savoir où commence l’Orient et où s’arrête l’Occident, ou si les Balkans sont en Orient ou en Occident. Région charnière mais également région mosaïque, qui présente une grande variété de situation des peuples qui la composent et qui trouble là encore les concepts importés. En effet, pour reprendre l’expression de Violette Rey, c’est aujourd’hui pour cette région une « triste richesse » que d’être celle par qui l’Europe doit reconnaître que le modèle de l’État-nation considéré si fécond à l’Ouest ne peut être un modèle universel, ni même généralisé à l’Europe orientale. »

 

De Gaulle appelait de ses vœux une Europe de l’Atlantique à l’Oural dans un discours à Strasbourg en novembre 1959 : « Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ! »

 

Emmanuel Macron évoque « Un espace commun eurasiatique de sécurité allant de Vladivostok à Lisbonne ».

 

La une de The Economist datée du 7 novembre 2019.

 

À rebours d’une majorité de commentateurs, Ziemowit Szczerek reporter-écrivain polonais spécialiste de l’Europe du Sud-Est estime que, dans son entretien polémique avec The Economist fin 2019, le président français a posé les bonnes questions et a exprimé ouvertement ce que tout le monde pense sans oser le dire.

 

« Dans l’entretien qui a remué le monde, Emmanuel Macron a exposé une approche sans naïveté. À de multiples reprises, il a reproché à la Russie son autoritarisme qui représenterait, avec le fondamentalisme islamique, la plus grande des menaces pour l’Europe et ses valeurs. Il a aussi affirmé que l’entrée de la Russie dans l’orbite d’influence occidentale prendrait au moins une décennie mais qu’elle finirait par advenir, Moscou ne voulant pas être vassalisée par la Chine.

 

Les projets emblématiques de l’Occident

 

Prenons le cas de la Bosnie-Herzégovine, que le président français a qualifiée de « bombe à retardement ». La presse de Sarajevo s’en est offusquée et a rappelé à la France son instabilité sociale dans ses propres frontières, la révolte des gilets jaunes et le terrorisme islamiste plus actif en France que dans les Balkans.

 

Tout cela est vrai, mais à chaque fois que j’entre en Bosnie-Herzégovine, que ce soit par la Serbie ou la Croatie, il y a presque toujours des fonctionnaires, pourtant vêtus de l’uniforme national, pour s’empresser de m’informer joyeusement que cet État n’existe pas.

 

Si l’on va dans l’Herzégovine croate, on n’entendra que des plaintes à propos de ce projet d’État centré sur les musulmans bosniaques et auquel doivent participer les Croates alors qu’ils n’y voient aucune raison. Dans la république serbe de Bosnie, les Serbes disent la même chose, et ce n’est pas la voix de nationalistes, de séparatistes ou de personnes que l’on pourrait qualifier de radicales. C’est un point de vue aussi courant que l’air que l’on respire. Chaque Serbe bosnien, adulte ou pas, sait parfaitement que ce qui le rapproche de Sarajevo n’est guère plus qu’un portrait de Tito à la maison et peut-être de la sympathie pour Bijelo Dugme [groupe de rock yougoslave culte des années 1970-1980]. Voir Goran Bregović plus bas.

 

En dehors de ça, rien, vraiment.

 

Pourtant, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo étaient les projets emblématiques de l’Occident dans les Balkans. On le voit de loin, sur les armoiries et les drapeaux qui reflètent l’esthétique de l’UE (étoiles, fond bleu) : de la même façon, les symboles des républiques soviétiques et des démocraties populaires, avec leur faucille et leur marteau, étaient une expression de l’esthétique socialiste. On y trouvera éventuellement la forme géographique du pays, comme sur l’emblème national du drapeau de la Biélorussie post-soviétique, mais aucun symbole national, aigle ou griffe, auquel les nationalistes pourraient se référer.

 

À vrai dire, ceux-ci n’en ont pas besoin car ils ont leurs propres symboles. Au Kosovo, les Serbes et les Albanais vivent tous sous une aigle à deux têtes – blanche chez les premiers, noire chez les seconds. En Bosnie, seuls les musulmans bosniens s’identifient au drapeau national. Les Croates et les Serbes, qui ont leur propre État national mais n’y vivent pas, utilisent leurs drapeaux respectifs, bien sûr de taille supérieure à celui de la Bosnie-Herzégovine.

 

« Regardez la Bosnie : c’est une vaste blague »

 

La Bosnie-Herzégovine et le Kosovo devaient être des laboratoires où régneraient l’harmonie européenne et la coexistence des nations. Face à la grande haine, tout cela s’est terminé en jeu de faux-semblants : tout va bien !

 

D’un autre côté, comment ces expériences pouvaient-elles réussir si, dans les deux pays, l’Occident s’est surtout employé à développer l’administration et la bureaucratie plutôt que d’investir dans le développement économique, l’égalité des chances et la construction d’une classe moyenne stable qui aurait pu devenir la base d’une identité commune. Par exemple, le système des trois présidents représentant chacun, à la tête de l’État bosnien, une des trois communautés renforce les clivages ethniques au lieu de les atténuer.

 

Si au moins la Bosnie-Herzégovine ou le Kosovo servaient de vitrine du niveau de vie occidental dans les Balkans, attiraient des travailleurs étrangers, diffusaient le modèle occidental dans la région, comme la Géorgie dans le Caucase. En réalité, c’est le contraire – les habitants de ces pays fuient en flots ininterrompus et sont contraints d’abandonner leurs montagnes pour du pain.

 

Si c’est comme ça, pour qui ces États ont-ils été créés ?

 

Si le but était de témoigner de l’échec du projet occidental dans les Balkans, c’est réussi, car quand on va en Serbie ou que l’on parle à des Macédoniens, on entend souvent : « Peut-être que l’UE n’a pas tant de sens que ça ? Regardez la Bosnie : c’est une vaste blague. »

 

Les Balkans ne peuvent compter ni sur la Russie ni sur l’UE

 

Évidemment, en critiquant la stabilisation bosnienne, il est difficile de ne pas tomber dans le piège tendu dans la région par la Russie. Elle soutient la Serbie, qui serait ravie de reprendre sous son aile les Serbes bosniens et kosovars, sauf qu’elle est liée par le droit international. Même si elle prenait le risque, à qui demanderait-elle de l’aide ? À la Russie ? La Serbie sait très bien qu’elle ne pourrait rien en tirer. La Russie est loin, n’a pas beaucoup d’argent, et Poutine est peut-être un ami cool avec qui faire un selfie, mais dans les affaires sérieuses, c’est un joueur froid et cynique. Les Russes ont d’ailleurs espionné leurs alliés et amis serbes, ce que le président Aleksandar Vucic a dû reconnaître avec réticence. Il s’est ainsi retrouvé dans une position analogue à celle de Volodymyr Zelensky vis-à-vis de Donald Trump.

 

En réalité, la Russie ne peut pas faire grand-chose dans les Balkans, même si la région et la Russie elle-même voudraient qu’il en soit autrement. La droite macédonienne, qui craint la minorité albanaise et a longtemps refusé de s’incliner devant le chantage de la Grèce sur le changement de nom du pays, pourrait peut-être se tourner vers la Russie, mais de quoi cela aurait-il l’air ? Les Russes leur enverraient-ils des soldats ? Les accueilleraient-ils dans leur Union avec la Biélorussie ? Distribueraient-ils des moyens financiers – pourtant déjà de plus en plus rares – pour construire dans les Balkans un genre de royaume du Wakanda, cette puissance technologique et militaire africaine de l’univers de Marvel ?

 

Image

Rare photo de Poutine contemplant son successeur

 

La Serbie fait face au même dilemme. Elle sent que l’UE la trahit, mais la Russie n’est pas une option. Si c’était le cas, Skopje et Belgrade n’auraient pas longtemps hésité.

 

Si les Balkans ne peuvent donc compter ni sur la Russie ni sur l’UE, qui reste-t-il ? Les communautés musulmanes bosniaques et albanaises pourraient encore songer à la Turquie, mais dans quel cadre ?

 

Emmanuel i Brigitte  Macronowie witają Putina w prezydenckiej rezydencji Fort de Bregancon

Emmanuel i Brigitte Macronowie witają Putina w prezydenckiej rezydencji Fort de Bregancon (Fot. Alexei Druzhinin/AP)

 

L’hégémon de l’UE serait le meilleur

 

En fin de compte, la Macédoine s’est laissée humilier par la Grèce et, dans les Balkans, on se souvient des humiliations. Elle est devenue la Macédoine du Nord, ce que beaucoup de ses habitants considèrent comme une offense. Pendant des années, elle a été le bon élève des réformes systémiques exigées par l’UE, et maintenant Emmanuel Macron bloque l’ouverture des négociations d’adhésion pour elle et son voisin albanais.

Goran Bregović est né le 22 mars 1950, à Sarajevo, d'une mère serbe et d'un père croate. Le père de Goran était officier dans l'Armée populaire yougoslave. Après la séparation de ses parents, il va vivre avec sa mère à Sarajevo. Après quelques années de violon au conservatoire, il fonde son premier groupe à 16 ans : Bijelo dugme (le Bouton blanc). Pour faire plaisir à ses parents il poursuit néanmoins des études de philosophie et de sociologie. Il serait sans doute devenu enseignant si le succès de son premier disque n’en avait décidé autrement.

 

Goran Bregović joue de la guitare et devient une rock-star en Yougoslavie. Avec son groupe Bijelo dugme il produit 13 albums en quinze ans, vendus au total à 6 millions d’exemplaires. Dans les années 1970, il rencontre Emir Kusturica, cinéaste amateur et bassiste dans un groupe punk.

 

À la fin des années 1980, lassé de son statut de rock star, le musicien réalise son rêve d'enfant en achetant une maison sur la côte adriatique. C’est là qu’il compose tranquillement la bande originale du troisième film d’Emir Kusturica, Le Temps des Gitans (1990). Ceci marque le début d’une collaboration réussie. Il signera ainsi les bandes originales d’Arizona Dream (1993) et Underground (1995). Après avoir travaillé, entre autres, pour Patrice Chéreau sur La Reine Margot et Radu Mihaileanu sur Train de vie, Goran Bregović décide de se consacrer principalement à l’interprétation de sa propre musique. Toutefois, il n’abandonne pas totalement la musique de film, puisque son coup de cœur pour Le Lièvre de Vatanen de Marc Rivière l’amène à en composer la bande originale et la chanson du film.

 

Après avoir reformé, en juin 2005, avec succès, son ancien groupe Bijelo dugme pour une série de concerts dans trois capitales de pays issus de l'ex-Yougoslavie, il a repris la route en 2006 avec son Orchestre des mariages et enterrements, avec lequel il sillonne l’Europe depuis le milieu des années 1990.

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commentaires

P
C'est bien compliqué tout cela même si un pédagogique éclaire un peu notre lanterne.<br /> J'avoue préférer les Balkans façon Sceptre d'Ottokar avec Tintin.<br /> Si je comprends bien les Balkans restent un grand problème pour l'Europe. A chacun selon ses mérites. Pour la justice française le problème c'est Balkany
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