- Français ?
Et en français avec le son teuton deux pandores les dévisageaient, avec une certaine surprise, se demandant ce qu’un couple pouvait bien fiche en ce lieu à cette heure-là. Benoît se retenait de répondre « Ça se voit tant que ça » mais il se contentait de tendre leurs deux passeports. Les deux poulets cinquantenaires maniaient le français avec une relative aisance souvenir sans doute d’un long séjour dans notre doulce France. Là encore Benoît évita de le leur faire remarquer. Ils les entraînèrent vers la lumière pour mieux examiner leurs passeports. Comme ils étaient en règle les pandores peu amènes se contentèrent de leur signifier de déguerpir de la zone et de gagner au plus vite leur lieu de résidence. Le plus gros, très bovin, ajoutait un « Tenez-vous à carreau » qui en disait long sur ses sentiments à leur égard. Son coéquipier, lui, s’intéressait essentiellement à la plastique de Chloé pourtant ensachée dans des vêtements informes, Benoît sentait dans ses yeux comme une folle envie de procéder à une fouille au corps. Ils revenaient sur leurs pas pour découvrir sur la gauche une ruelle qui se révéla être une impasse donnant sur un haut portail rouillé, entrouvert, sur lequel de blanches colombes de la paix façon Picasso encadraient un chat sans poils debout sur ses pattes arrière qui brandissait son pénis.
De la bâtisse, dont ils devinaient l’existence par les points de lumière piquetant sa haute façade, provenait un vacarme sauvage où se mélangeaient des éclats de voix et de la musique sans doute crachée par une batterie de haut-parleurs. Leur irruption, dans ce qui avait dû être la salle de pointage d’une usine désaffectée, ne troublait en rien les occupants qui se livraient, par grappes, à une forme de confrontation verbale et gestuelle débridée sur fond de chants révolutionnaires. De l’un des groupes, une grande sauterelle, lovée dans un sari immaculé, se détachait pour s’approcher d’eux à petits pas chassés. Ignorant Chloé elle tourbillonnait autour de Benoît en passant ses longs doigts dans ses cheveux tout en ondulant des hanches lascivement. Grossièrement Benoît rompait le charme en la questionnant avec une brutalité qu’il regretta sitôt « Où est Sacha ? ». Très « Peace and Love » elle l’enveloppait de ses bras interminables en se plaquant sur lui « Essaie le Centre de la Paix, camarade... » lui susurrait-elle à l’oreille avant de repartir, tel une elfe, vers l’un des essaims peuplé que de filles qui mélangeaient leurs corps en une houle furieuse. Même Chloé, qui en avait vu d’autres, contemplait le spectacle avec étonnement.
- C’est où le Centre de la paix...
Le grand type roux, vêtu d’une vareuse vert de gris et coiffé d’un béret à la Che Guevara, à qui Benoît venait de poser la question, le regardait comme s’il découvrait une fiente de pigeon sur ses rangers impeccables. Dans un français tout aussi impeccable il lui balançait.
- Au dernier ducon !
- Tu devrais tirer la chasse plus souvent trouduc t’as une haleine de chiottes...
Chloé le tirait par la manche.
- Laisse tomber, tu ne vois pas que notre camarade est un fils de pute...
- Toi t’as des cuisses de gazelle et j’ai une trique d’enfer. Montes au premier avec moi je t’offrirai ma semence révolutionnaire !
- C’est ça mon grand. Vas faire ta lessive à la main et lâche-moi la chatte !
- Toi t’es italienne, une chatte sur un toit brûlant...
- Viens Chloé notre camarade est un réviso en exil...