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19 juillet 2017 3 19 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (2) L’exclusion du vin commun

Le dédain absolu pour le vin commun  est le corollaire obligé de toute enquête rétrospective sur la qualité des vins d’autrefois, car l’œnologie, qui est la charte du vin de qualité, ne laisse  pas la moindre place à la description d’une viticulture dégradée par des méthodes fautives et des rendements excessifs. Cavoleau définit l’œnologie par l’étude des « procédés employés pour se procurer les vins les plus  recherchés ». Moins ils sont utilisés dans les diverses opérations qui mènent au « vin fait », moins ils nous intéressent.

 

La compétence œnologique, omniprésente dans le processus d’élaboration d’un vin de qualité, n’était nullement requise autrefois pour l’immense majorité de la production, car le « vin de boisson » était frustre et sans apprêt. Il s’agissait seulement d’obtenir à bas prix des vins de faible degré, souvent allongés d’eau. Comme le rappelle Olivier de Serres : « Aussi ce n’est en la cave du grossier paysan, quoique sis au pays de bon vignoble, que communément l’on trouve les plus précieux vins, mais chez les gens de bon esprit. » Le « gros rouge » qui a régné en maître sur la consommation populaire jusqu’au milieu du siècle dernier, ne peut, malgré une antériorité historique prouvée depuis la création du vignoble, être l’objet d’une investigation à finalité œnologique, car sa fabrication était abandonnée à la routine et aux mauvais usages et le prix dérisoire auquel il était vendu permettait de satisfaire tant bien que mal des besoins de la partie la plus pauvre de la population.

 

La présente étude, consacrée aux méthodes complexes d’élaboration du « bon vin » d’un vignoble célèbre, l’ignore donc totalement, d’autant plus que sa fabrication n’a jamais servi de modèle au vin fin. C’est au contraire ce dernier qui, au cours du temps, a provoqué l’apparition d’un progrès dans ses techniques relâchées et fautives. Son amélioration ardemment recherchée aujourd’hui dépend de l’emprunt des procédés raffinés, utilisés pour les meilleurs crus.

 

Du même coup le schéma « moderniste » qui attribue au XVIIe siècle le mérite d’inventions œnologiques décisives, doit être remis en question, car la plupart des procédés préconisés alors, existaient depuis longtemps. La diffusion d’instruments agricoles perfectionnés et de pressoirs efficaces et moins couteux, a pour l’essentiel bénéficié au seul vin commun. Grâce à eux la viticulture de masse s’est transformée par l’adoption d’améliorations agronomiques, seuls en mesure de faire face aux dépenses insoutenables de la grande viticulture.

 

L’antagonisme entre vin fin et vin commun, est la conséquence de deux conceptions opposées de l’œnologie. Les épisodes de cette lutte, qui a duré des siècles, sont rapportés par de nombreux documents. Ils prouvent la sollicitude inquiète des élites sociales, qui ont fait à appel à plusieurs reprises au pouvoir politique, afin d’éviter l’irrémédiable décadence, d’abord œnologique, puis finalement économique, des meilleurs crus, face aux incursions de la vigne commune. La législation des appellations d’origine, dirigée contre la fraude au cours du XXe siècle, fut le dernier avatar d’une longue suite  d’interventions du pouvoir, dont la manifestation la plus connue fut au Moyen Âge l’édit de Philippe le Hardi qui, en 1395, visait à l’éradication du « déloyal Gamay ».

 

Roger Dion, fort justement, attribue la capacité de pérenniser la bonne œnologie aux seuls privilégiés de la fortune : « L’un des enseignements que nous donne l’histoire de France est que, même sou les climats les plus favorables et sur les sols les plus heureusement doués, une renommée ne dure qu’autant que le maître de la vigne consent à faire les efforts et les frais qu’exige le maintien de la qualité du produit. »

 

La Bourgogne fait partie des cantons viticoles doués, certes, pour la viticulture fine, mais sa chance fut d’avoir été insérée dans une civilisation aristocratique, qui permettait aux « riches gens » de profiter des prestiges et des agréments des meilleurs crus. Cet attrait pour le bon vin a favorisé, en Bourgogne même, une économie viticole de haut niveau, que l’on croit bien à tort, liée principalement à d’insaisissables dispositions naturelles.

 

à suivre demain : Le mythe d’un progrès récent

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commentaires

M
"Déloyal Gamay"; magnifique!<br /> Sans doute l'œnologie alimente le discours sur le vin puisqu'il s'agit de sa formulation.<br /> Je m'attends à de belle découvertes dans ce domaine!<br /> Charles
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