« Ces vignes de Clinton, d’Isabelle, d’Herbemont et de Jacquez poussent au voisinage du mûrier, « l’arbre d’or », celui qui a apporté la richesse, et près du châtaignier, « l’arbre pain », celui qui a évité la famine… »
Les vins mythiques Freddy Couderc
Je suis né dans le pays d’un des apôtres des hybrides, le frère Bécot, lire ICI et les vignes de mon pépé Louis c’était noah, baco et des cépages à numéro.
« Pépé Louis avait une vigne sur le haut de la Mothe-Achard, commune qui avait peu de hauts et beaucoup de bas, complanté surtout en noah. J’ai donc décavaillonné, vendangé, mais pas vinifié vu qu’une fois pressuré le moût vivait sa vie en toute liberté – il serait privé de la dénomination nature vu que pépé souffrait à mort ses barriques pour lutter contre les fleurettes, et pourtant c’était un vin nu de chez vin nu – et bien sûr bu ce breuvage titrant les meilleures années 8°. Aux battages, les bouteilles de noah désoiffaient les gars des gerbes et du pailler. Ce n’est pas pour rien que j’habitais au Bourg-Pailler. »
Mais ce passé dans les vignes de la Vendée crottée n’a pas fait de moi un gars capable de causer le bout de gras sur le métier. Lors de mon passage à l’ONIVIT, où il y avait une division bois&plants de vigne, je dois avouer que je ne me passionnais guère pour la sélection massale ou clonale.
Ce n’était pas du désintérêt mais le constat de mon incompétence crasse sur les sujets dit techniques.
Mais, comme au temps du basket à la Vaillante Mothaise j’ai gardé un goût prononcé pour le rôle de passeur.
C’est donc avec un grand plaisir et un réel intérêt que mon espace de liberté accueille ce matin l’ami Lilian Bauchet vigneron en Beaujolais.
L'INRA vient d'annoncer un programme de grande ampleur de déploiement des cépages résistants en France.
Les cépages résistants sont le fruit de croisements entre vitis vinifera et la vigne américaine. Ils héritent des capacités de résistance naturelle de leur géniteur américain, et des qualités organoleptiques de la vigne européenne. Ces cépages résistants, nommés aussi cépages interspécifiques ou cépages hybrides, ne nécessitent peu, voire pas de traitements. On comprend dès lors l'intérêt grandissant des viticulteurs dont je se suis pour ces cépages.
L'offre de cépages résistants d'obtention étrangère est riche, notamment en Allemagne et en Suisse où la recherche est très active. Par rétrocroisement successif avec Vinifera, leur qualité gustative a été améliorée au fil des années. De nouvelles variétés très prometteuses d'obtention suisse sont annoncées pour 2017.
Si la France a été pionnière dans ce domaine, les travaux de nos hybrideurs ont été brusquement interrompus. J'ai lu sous la plume de Pierre Galet que c'est le Comité de Sélection des Plantes Cultivées, qui, en imposant aux obtenteurs privés des dispositions financières très importantes pour l'homologation de leurs futurs croisements , les a condamnés à disparaître.
En France, c'est donc au sein de la seule INRA que les travaux d'hybridation sont désormais prolongés. Alain Bouquet, chercheur aujourd'hui décédé, a consacré sa carrière à la création de variétés résistantes par techniques d'hybridation classique, quand ses confrères de notre institut de recherche agricole orientaient leurs travaux d'amélioration de la vigne vers les techniques OGM.
Ce sont ces variétés Bouquet que l'INRA se propose d'expérimenter à travers son plan de déploiement, ainsi que quelques rares variétés étrangères.
Si on regarde le verre à moitié plein, on ne peut que saluer le volontarisme nouvellement affiché de l'INRA en faveur des cépages résistants.
Mais si on regarde le verre à moitié vide, on ne peut qu'être songeur devant l'usine à gaz imaginée par notre recherche publique. Car le protocole de déploiement présenté par l'INRA est tellement restrictif et encadré qu'il nécessitera de très longues années d'expérimentation avant que chacun puisse librement cultiver les cépages résistants.
L'INRA justifie la lourdeur du protocole par les possibles risques de contournement des résistances et l'apparition de nouvelles souches mutantes de pathogènes plus virulentes et dangereuses pour la vigne. Les variétés actuelles de cépages hybrides, de résistance monogénique, ne présentent pas toutes les garanties. Les nouvelles variétés polygéniques en cours de création par l'INRA offriront un avenir plus sûr. On autorise donc les premières expérimentations à très petite échelle, mais on invite surtout à la patience, en attendant que soient prêtes les variétés hybrides de nouvelle génération.
Vincent Pugibet, vigneron dans le Languedoc, et fervent défenseur des cépages résistants, voit dans cette prudence affichée par l'INRA autre chose qu'une saine application du principe de précaution ; « Presque 100% des plants cultivés en France sont des plants vendus sous une marque de l’Institut national de la recherche agronomique. L’INRA et l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) touchent sur ces plants des royalties : à la fois sur le porte-greffe, la partie racinaire, et le greffon, la partie aérienne. Ils ont une situation de quasi-monopole. Avec l’arrivée de cépages résistants aux maladies mis au point en Allemagne, en Italie, en Suisse, ils le perdent et voient cela d’un mauvais œil. »
Difficile de vérifier l'exactitude des propos tenus dans la presse par Vincent Pugibet, notons toutefois que l'INRA et l'IFV ne lui ont pas intenté un procès en diffamation.
On peut dès lors se demander avec lui si l'INRA et l'IFV ne cherchent effectivement pas à jouer la montre, le temps de rattraper le retard enregistré sur nos voisins européens et maintenir cette rente de situation. Au-delà des aspects financiers, nos chercheurs doivent également considérer le vignoble français comme leur terrain de jeu, où nul joueur d'autre nationalité n'est autorisé à pénétrer.
Au sein même de l'INRA, des voix s'élèvent pour mettre en doute le risque de contournement ; « L’argument théorique de la résistance monogénique ne tient pas devant une décennie de pratique » affirme le professeur Carbonneau. « Il doit y avoir autre chose. » Du côté de l'épigénétique, territoire immense à peine défloré par les scientifiques ? Ou les gènes de résistance réels ne sont-ils pas définitivement connus ?
Si risque de contournement des cépages hybrides il y a, pourquoi nos chercheurs ne vont-ils pas le vérifier dans les vignes cultivées par nos voisins étrangers belges italiens suisses, allemands etc. et nous éviter ainsi ce protocole de déploiement d'une incroyable lourdeur et de longues années d'attente ? Pourquoi ne s'appuient-ils pas sur les observations réalisées par leurs collègues étrangers ?
Ce que je ne comprends pas, au-delà de tout, c'est l'amnésie qui semble frapper nos chercheurs. Ils nous présentent les cépages hybrides comme des espèces variétales nouvelles, dont le caractère de nouveauté doit nous inciter à la plus grande prudence. Mais comment font-ils pour oublier que les cépages hybrides ont déjà été très largement cultivés en France avant nous ? Très tôt, dès l'arrivée du phylloxéra, on remarqua les capacités de résistance naturelle de la vigne américaine au mildiou et à l'oïdium, très tôt on eut l'idée de l'hybrider à Vinifera, très tôt on cultiva les hybrides. En 1958, d'après le casier viticole, ce n'est pas moins de 400 000 hectares de cépages hybrides qui sont vinifiés!
Victimes d'une véritable chasse aux sorcières, nos vieilles variétés hybrides ont quasiment disparu de notre vignoble. Coupables idéales des crises de surproduction qui secouèrent la viticulture, on les accabla de tous les maux, piètre qualité, danger pour la santé... Mais on ne les condamna pas d'avoir vu leurs capacités de résistance naturelle s'éroder au fil des années ! Au contraire, on les jugea trop rustiques, trop faciles à cultiver, trop productives, y compris sous des latitudes où certains jugèrent que la vigne ne devait pas être cultivée ! Leur culture pendant presque un siècle n'a pas non plus entraîné l'apparition de nouvelles souches de pathogènes très virulentes ayant entraîné la disparition de nos fragiles vinifera.
Est-ce parce que ces vieilles variétés ont été créées à une époque où la génétique en était encore aux petits pois de Mendel, que leurs gènes ne seraient pas soumis aux mêmes lois et aux mêmes risques de contournement que les variétés nouvellement créées ?
Et quid de la pression sélective exercée par l'utilisation des produits phytosanitaires ? Elle serait moins problématique que celle engendrée par l'introduction des cépages hybrides, pour que nos scientifiques ne nous interdisent pas l'usage des pesticides ?
Mes propos sont ironiques bien sûr, mais je dois avouer que ce tissu de contradictions apparentes me plonge dans un abyme de perplexité.
Qui croire alors ?
L'INRA ou Vincent Pugibet ?
J'ai commandé l'an dernier en Allemagne des cépages résistants de nouvelle génération. Des plants de Muscaris et Souvignier gris, car de source bien informée, ces cépages d'obtention étrangère étaient au nombre des rares cépages qui devaient être inscrits à notre catalogue national en 2017. Il semblerait que cette inscription soit une fois de plus retardée. On évoque si j'ai bien compris du côté de nos scientifiques des signes rédhibitoires de phylloxéra gallicole et de black-rot qui justifient le retard d'inscription. Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage.
Ce plan kafkaïen de déploiement des hybrides que veut nous imposer l'INRA est en réalité l'énième symptôme d'un mal plus profond. Celui de l'emprise qu'exerce notre recherche publique sur la filière viticole et qui nous étouffe.
La manifestation la plus éclatante de cette mainmise est bien sûr l'obligation qui fut faite aux vignerons d'abandonner leur pratique de sélection massale au profit des clones certifiés. Les dépossédant au passage d'un savoir empirique millénaire.
L'intention initiale de nos scientifiques de lutte contre le court-noué était peut-être légitime. Mais maintenant que l'histoire est écrite, devant la recrudescence des maladies qui affectent notre vignoble, et les taux de mortalité exponentiel de nos jeunes vignes, nous sommes plus qu'en droit de remettre en question l'intérêt de la sélection clonale et la stratégie passée imposée par nos scientifiques.
Notre recherche publique a d'ailleurs reconnu implicitement son échec en assouplissant les règles de la sélection massale, mais en la limitant toutefois pour les viticulteurs qui la pratiquent à leur propre utilisation et en l'excluant des dispositifs primables. Il ne faudrait pas venir perturber le marché des plants certifiés si lucratif et si bien organisé... Il ne faudrait pas non plus montrer que la recherche a fait fausse route et déstabiliser l'édifice.
Et voilà que l'INRA avec les cépages résistants veut remettre le couvert. Nous maintenir encore et toujours sous sa coupe, en retardant la libre culture des cépages résistants mis au point par les obtenteurs étrangers, ceci le temps qu'il faudra à notre institut de recherche publique pour construire sa propre offre de cépages résistants.
Admettons, dans un ultime effort, que les craintes exprimées par nos scientifiques sur les risques de contournement sont réelles. Mais qui mieux qu'eux pour savoir que nous évoluons dans un monde en perpétuel mouvement, que tout, autour de la vigne, tout ce que compte de vivant son écosystème, mute en permanence, se renouvelle et que nous avons besoin de la même façon de faire évoluer en continu notre matériel végétal.
Alors, qu'importe si l'honneur de notre recherche nationale est bafoué par l'introduction à notre catalogue de nombreux cépages d'obtention étrangère, qu'importe dans quelle poche ira l'argent que consacreront les vignerons à l'achat de leurs nouveaux pieds de vignes, ceci est dérisoire face aux enjeux actuels de notre profession et les attentes de la société civile.
Faut-il le rappeler, la France est championne d'Europe en terme de consommation de pesticides.
Notre viticulture, avec 20% de cette consommation pour 3 % de la SAU porte une lourde responsabilité dans ce titre peu glorieux. Les chiffres de consommation de phytos de 2016 et sa météo catastrophique ne sont pas encore connus, mais ils devraient signer un nouveau record.
Comment les pouvoirs politiques peuvent-ils alors cautionner l'empêchement qui nous est fait par notre recherche publique de cultiver les cépages résistants pourtant librement cultivés par tous nos voisins européens depuis de nombreuses années déjà ? Comment peuvent-ils accepter cela, quand leur discours vers la société civile est tout orienté vers la nécessaire réduction de notre impact écologique ?
Je voulais terminer par un dernier argument en faveur des cépages hybrides. J'ai découvert il y a peu sur Internet, un document qui fait le point sur l'état de la recherche sur la flavescence dorée. J'ai été intrigué par un constat fait par les scientifiques, certains de nos porte-greffes comme le 5BB et le 41B n'exprimeraient aucun symptôme de la maladie. Comme le phylloxéra, le mildiou et l'oïdium, la cicadelle vectrice de la maladie, S. Titanus fut d'abord inféodée à la vigne américaine avant d'être introduite en Europe. Le long voisinage de la vigne américaine avec S. Titanus a-t-elle développé en elle les mêmes capacités de résistance que celles qu'elle a su développer contre ses autres agresseurs ? En tout cas, ici comme ailleurs, les hybrides sont porteurs des plus grands espoirs.
Je remercie Jacques Berthomeau de m'avoir donné la possibilité de m'exprimer sur son blog.
J'aimerais que ce message parvienne jusqu'aux oreilles de ceux qui pourraient avoir des réponses à toutes mes questions et de ceux qui ont le pouvoir de changer les choses.
Si vous cultivez des cépages hybrides, n'hésitez pas à me joindre à l'adresse mail suivante lilianbauchet@gmail.com . Nombreux sont mes amis vignerons qui avec moi, souhaitent cultiver ces cépages d'ancienne ou nouvelle génération. Nous serions très heureux de pouvoir profiter de vos retours d'expérience.