Faire sa sucrée est l’une des expressions favorites de l’adepte barcelonais de l’évier : en général il l’emploie dans le déni : « je ne vais pas faire ma sucrée » ce qu’il fait bien sûr.
« En voilà une pimbêche qui fait sa sucrée, une poseuse toujours fichue dans les églises et qui use ses genoux dans les confessionnaux ! »
« Une chipie... une bégueule, à qui j'offre mon coeur, ma fortune et un dîner chez le père Fromage... toutes les délices de la vie, quoi ! et qui a la bêtise de faire la sucrée...»
Faire sa mijaurée n’est pas mal non plus.
Cette expression fort désuète va comme un gant à une population qui se tient par la barbichette, se passe les plats, en un entre-soi proche des Précieuses Ridicules.
En effet, les petites mains de la critique gastronomique parisienne se pâment, en un exercice obligé de brosse à reluire en pure soie, ils font des gammes dans le plus mièvre style Richard Clayderman à propos de certains chefs qui cuisinent leur ego sur leurs fourneaux.
J’en chope une au hasard tout juste sortie d’un lieu où j’ai moi-même déjeuné puis dîné.
Je cite l’enamouré :
« Les assiettes sont souriantes, précises et bavardes. Sans en faire trop, ni trop peu… Pas de dressage à l’esthétisme forcené, pas de jeux inutiles : le plat fait dans la saine épure.»
Sur le contenu des fameuses assiettes qui lui souriaient tout en lui faisant la conversation avec précision notre plumitif s’extasie avec la micro-artillerie habituelle : douce tuerie à la patate addictive… la P et les G font dans le grand art sans vouloir épater gratuitement la galerie… le clafoutis est langoureux…
C’est beau, ça m’émeut comme un roman de la collection Harlequin.
Ça frise le publi-rédactionnel.
J’espère que le joueur de violon a réglé, comme moi, son addition ?
Je ne sais, mais ce que je sais c’est que mon plaisir au dîner fut d’une brièveté bien inférieure à celui du coït du lapin.
Cuisine imposée… cuisine de petites bouchées… et ce ne fut même pas enlevé par un service rythmé… oui que ce fut long et ennuyeux : 2h 30… j’étais furieux d’avoir entraîné des amis dans une telle galère.
La seule consolation : le vin mais là le chef n’y était pour rien !
Service au bord de la désinvolture.
Pendant que nous attendions le chou à la crème microscopique et mou le chef fumait des clopes sur le trottoir et faisait des seelfies.
La coolitude a des limites…
Vous allez me dire pourquoi, après y avoir déjeuné, suis-je retourné à cette table pour y dîner ?
Tout bêtement parce que la prestation du déjeuner m’avait satisfait même si les micro-entrées ne m’avaient pas enthousiasmé.
Ce chef a du talent c’est évident.
Ses qualités ne sont donc pas en cause, en revanche ce qui est en cause c’est cette volonté têtue de transformer la prestation du dîner en une sorte de liturgie à la gloire de son génie qui se lâche en des figures libres imposées au client.
Pourquoi pas si cet exercice est à la hauteur des ambitions affichées, si la cuisine magnifie vraiment les produits, si l’inventivité, la prise de risques est au rendez-vous, si l’on ne confond pas dégustation avec restauration.
Dîner léger je ne suis pas contre mais s’ennuyer à table face à des assiettes chichiteuses, sans âme ni contenu tient d’un large foutage de gueule qui, à terme, alimentera un bouche à oreille, amplifié par les réseaux sociaux, ravageur pour l’établissement.
Libre à chaque chef de faire ce que bon lui semble, c’est son droit, son gagne-pain, mais du côté de la soi-disant critique le panurgisme ne leur rend aucun service, elle ne fait que les conforter dans une forme de dédain du client autochtone.
Les concerts de louanges, les brassées de fleurs, les papiers dithyrambiques, c’est flatteur, ça aiguise l’ego, mais savoir aussi entendre les remarques de clients qui ne sont pas des oiseaux de passage mais des gens du cru en capacité de revenir se substanter régulièrement n’est pas se faire outrager. Ce noyau dur, de fidèles, d’habitués pourquoi les traiter comme quantité négligeable ?
Le plumitif qui dialogue avec son assiette et qui, contrairement à moi n’a pas dîné dans l’établissement, affirme que la maison va devenir une cantine pour beaucoup de Parisiens.
T’as tout faux mon coco, des cantines j’en fréquente beaucoup, j’y déjeune souvent au bar et ça n’a rien à voir avec ces restaurants qui s’ils veulent vivre dans la durée devront, à mon sens, en revenir aux fondamentaux du bien manger qui se traduit par le plaisir de la satiété.
J’en resterai là sans pointer du doigt l’établissement qui m’a servi à illustrer mon propos, il n’est pas unique dans son genre, laissons-lui le temps de s’extraire des vapeurs entêtantes de l’encens et que le chef comprenne que le succès s’inscrit dans la durée et non dans une éphémère popularité de pacotille.
Cette chronique est dédiée à Isabelle, Laure, Antoine, Marco et Nicolas qui ont partagés ou vécus mon chemin de croix, j’exagère bien sûr...