Comme nous sommes le jour d’une naissance célèbre je ne résiste pas au plaisir de vous rapporter ce qui s’est passé lors de la naissance de Théo, fils de Kay Salter, journaliste pour The New York Times et Food and Wine et de James Salter écrivain, décédé en juin 2015.
C’est narré dans leur livre Chaque jour est un festin publié aux éditions de La Martinière.
Le couple vit à Paris, en 1985, madame attend un heureux évènement et se promène dans le château de Versailles. « Voilà pourquoi, en fin d’après-midi, en pleine galerie des Glaces… madame informe son époux… qu’il va falloir sauter l’étape cartes postales… pour renter à Paris. »
En dépit de conseils d’amis attentionnés le couple a décidé de choisir Paris « comme lieu idéal pour commencer cette vie à trois. »
Ils ont trouvé «… un obstétricien grisonnant et distingué, le Dr Bazin, breton de surcroît, comme nous l’avons appris plus tard ; or les Bretons, par tradition, sont plutôt laconiques. »
Comme de bien entendu l’accouchement se passe à l’hôpital américain de Neuilly.
Jim, le mari « … a lu quelque part que, jadis, on humectait de bon vin français les lèvres des futurs rois de France nouveau-nés afin qu’ils n’en oublient pas le goût. Il a donc apporté une bouteille de château-latour, pour son excellence mais aussi pour sa valeur historique : à l’origine, ce château était une forteresse bâtie pour résister aux pirates. Durant la guerre de Cent Ans, elle fut occupée tour à tour par les Anglais et les Français. La tour en ruine est le seul vestige de cette forteresse et reste la pièce maîtresse de Latour. * »
Alors que madame roule vers la salle d’accouchement, le mari met au parfum le Dr Bazin qui, convoqué en plein dîner, est encore en habit de soirée :
« Nous vous faisons toute confiance, docteur, lui dit-il. Mais juste un petit détail.
- Lequel ? demande Bazin.
- Quand le bébé sera né, nous aimerions lui humecter les lèvres d’un bon vin français.»
« Bazin, qui parle un anglais correct jusqu’à un certain point, met quelques secondes à comprendre. Son regard parcourt la pièce, tombe enfin sur la bouteille de château-latour posée sur l’étagère au-dessus du lavabo. Il s’avance, soulève la bouteille.
« C’est ça, le vin ?
- Oui.
- Vous auriez pu choisir pire », observe-t-il avant de me rejoindre en salle d’accouchement » rapporte Kay.
Tout se passe bien, et à 1 heure du matin, le mari, « debout dans le couloir devant la salle d’accouchement, entend un cri vigoureux d’un nouveau-né, suivi de près par une autre exclamation, de Bazin cette fois :
« Débouchez-là ! »
Alors « Nous frottons les lèvres de Théo de quelques gouttes de vin, après quoi tout le monde – médecin, infirmières, Jim, plus un ami qui s’est précipité à l’hôpital en apprenant l’imminence de l’évènement – partagent la bouteille pour fêter ça. Le vin est à la hauteur de sa réputation. »
7 semaines plus tard, ils retournent aux USA et deux année s’écoulent.
« … voyant passer une caisse d’un autre bordeaux, château-léoville-barton 1985 – l’année de naissance de theo –, nous l’achetons, 1985 se révèle l’un des grands millésimes du dernier quart du XXe siècle. Plus tard, lorsque Theo a l’âge d’en boire, nous lui demandons, plein d’espoir :
« Tu reconnais ? »
Oui, il a l’air de s’en souvenir. »
Belle histoire !
Joyeux Noël à toutes et à tous.
* En réalité, cette tour ronde, à toit en dôme, est un pigeonnier construit au XVIIe siècle. Rien ne subsiste de la forteresse médiévale à Château-Latour.
1985 : des Bordeaux exceptionnels
Alors très élégants suite à leur vinification, les rouges du Bordelais sont devenus suaves et d'une extrême finesse au terme d'une longue garde. Les Médoc, tendres et fruités, bénéficient d'une structure tannique fondante. Les Saint-Emilion affichent une finesse et une concentration idéales.Cheval-Blanc, Pichon Lalande et Lynch Bages fourmillent de richesse et d'équilibre. Quant aux blancs secs, ils offrent une complexité délicieuse.