« Le passage, l’interstice par excellence, a sa vie propre, ses horaires, ses métiers, ses intérieurs doublement intérieurs et ses bistrots, doublement lieu de passage, doublement refuges et éphémères. » Marc Augé l’Éloge du bistrot »
Le passage de l’Opéra, 10-12 Bd des Italiens dans le 9e, ouvert en 1822, comprenait deux galeries parallèles : de l’Horloge et du Baromètre, courant du boulevard des Italiens à la rue Le Peletier, et une galerie perpendiculaire du Thermomètre.
C’est dans la galerie du Baromètre, qu’un basque nommé Certâ avait « ouvert un café qui passa à la postérité. Le décor était sommaire : des tonneaux autours desquels des tabourets cannés et des fauteuils de paille composent le seul ameublement. »
C’est là que Tristan Tzara, Max Ernst, Jean Arp, Fraenkel, vont, après le Manifeste Dada de 1918, former un groupe rejoint par ceux qui deviendront les principaux animateurs du surréalisme : Breton, Aragon, Reverdy, Eluard, Picabia, Apollinaire...
Louis Aragon dans Le Paysan de Paris écrit :
« C’est ce lieu où, vers la fin 1919, André Breton et moi décidâmes de réunir désormais nos amis, par haine de Montparnasse et de Montmartre, par goût aussi de l’équivoque des passages… c’est ce lieu qui fut le siège principal de assisses de Dada, que cette redoutable association complotât l’une de ces manifestations dérisoires et légendaires qui firent sa grandeur et sa pourriture, ou qu’elle s’y réunit par lassitude, par désœuvrement, par ennui, ou qu’elle s’y assemblât sous le coup d’une de ces crises violentes qui la convulsaient parfois quand l’accusation de modérantisme était portée contre l’un de ses membres. Il faut bien que j’apporte à en parler une sentimentalité incertaine. »
« De ce bistro furent fomentées les actions symboliques : le procès de Barrès, les attaques et « manifestations dérisoires et légendaires » comme « la visite à Saint-Julien-le-Pauvre » le 14 avril 1921.
Le vendredi était le jour de lecture de poèmes avec pour participants Apollinaire, Cendrars, Reverdy, Max Jacob. Des comédiens participaient aussi à ces lectures dont Marcel Herrand, (le formidable Lacenaire des « Enfants du Paradis ») »
Marc Augé note que « Le Certa offre un décor de calme et de tranquillité : le bois des tables, les vitres et les miroirs, le grand comptoir et la banquette de molesquine composent « un délicieux endroit… où règne une lumière de douceur ». Aragon est sensible également au charme de la jeune femme qui tient la caisse, aimable et jolie ; il téléphone souvent au Certa pour le plaisir de lui entendre répondre : « Non personne ne vous a demandé », ou encore : « Il n’y a pas personne des Dadas, Monsieur. »
Aragon appréciait aussi le Porto du Certa dont il fait une description « avec une minutie d’ethnographe et un enthousiasme de pratiquant fidèle : (extrait du Paysan de Paris)
« Je veux consacrer un long paragraphe reconnaissant aux consommations de ce café. Et tout d’abord à son porto. Le porto Certâ se prend chaud ou froid, il en existe diverses variétés, que les amateurs apprécieront. Mais le porto rouge ordinaire, qui vaut deux francs cinquante, est déjà si recommandable que je craindrais de lui nuire en parlant des autres. Je suis au regret de dire que le bon porto se fait de plus en plus rare à Paris. Il faut aller chez Certa pour en boire. Le patron m’assure que ce n’est pas sans sacrifice qu’il arrive à fournir celui-ci à sa clientèle. Il y a des portos dont le goût n’est pas mauvais, mais qui sont en quelque sorte labiles. Le palais ne les retient pas. Ils fuient. Aucun souvenir n’en demeure. Ce n’est pas le cas du porto de Certa : chaud, ferme, assuré, et véritablement timbré. »
« Et le porto n’est pas ici la seule spécialité. Il y a peu d’endroits en France où l’on possède une gamme pareille de bières anglaises, stout et ales, qui vont du noir au blond par l’acajou, avec toutes les variations de l’amertume et de la violence. Je vous recommande, ce n’est pas le sentiment de la plupart de mes amis (Max Morise excepté) qui ne le goûtent pas comme moi, le strong ale à deux francs cinquante : c’est une boisson déconcertante. Je recommanderai encore le Mousse Moka, toujours léger et bien lié, le théâtre Flip et le Théatra Cocktail, pour des usages divers, ces deux derniers oubliés dans le tableau suivant : »
Le percement de la dernière section du boulevard Haussmann, en 1925, emporte cependant « le grand cercueil de verre ». C’en est fini des galeries et des lueurs changeantes « qui vont de la clarté du sépulcre à l’ombre de la volupté, de délicieuses filles servant l’un et l’autre culte avec de provocants mouvements de hanches et le retroussis aigu du sourire ».
L’actuel Certa est situé 5 rue de l'Isly, 75008. Paris-Bouge le décrit ainsi :
« Le Certa est un bar-restaurant, à la déco dite "industrielle-chic", créé en 1926. Côté restaurant, le Certa offre la possibilité de se restaurer tous les jours de 12h à 00h (dimanche : fermeture 17h). Au menu, une carte composée de plats « faits maison » : cheesburgers, fish & chips, de nombreuses spécialités aveyronnaise, entrecôte d’environ 300 grammes... Et tous les mardi soirs au Certa, c’est soirée spéciale Aligot-saucisse. Côté bar, une carte de cocktails de la maison et une carte de vins à déguster installé dans des canapés Chesterfield, à la table d’hôte conviviale de 12 personnes ou au bar. Le dimanche, le Certa propose un brunch avec buffet sucré/salé et boissons chaudes à volonté. »
Le Certa est ouvert tous les jours. Du lundi au vendredi de 8h à 2h, le samedi de 10h à 2h et le dimanche de 12h à 18h.