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12 août 2015 3 12 /08 /août /2015 06:00
Le feuilleton de l’été du Taulier (2) : « c’est à bouar ou à laisser » voulait m’engager…

L’échange avec « c’est à bouar ou à laisser » fut intense et dense mais je ne réussis pas à lui tirer le moindre vers du nez. Mon interlocuteur était retord, vicieux, il voulait m’engager à moindre frais. Pour le déstabiliser je lui fis une proposition malhonnête qui lui coupa l’herbe sous le pied pendant de longues minutes : « j’acceptais sa proposition à la seule et unique condition de travailler gratos. »

 

- Pourquoi ?

 

-  Pour rien !

 

- Je ne comprends pas…

 

- Ne cherchez pas à comprendre mais topez de suite sinon je vous vire !

 

Nouveau silence radio, puis tombait un « c’est d’accord… »

 

- Très bien mais avant que je lance mon enquête vous devez me faire parvenir un dossier complet sur la baronne des Sables de Sainte Emilion…

 

- Je veux savoir comment vous allez procéder !

 

- Vous n’avez rien à vouloir, c’est mon affaire…

 

- Vous ne manquez pas d’air !

 

- Normal, Tarpon c’est un nom de poisson…

 

« C’est à bouar ou à laisser » capitula en rase campagne. Je passai mon après-midi à faire la sieste. Fallait que je sois en forme pour faire bonne impression à ma banquière. Nous dinâmes japonais, rue Sainte-Anne, et nous finîmes dans son lit, face à la Seine, elle créchait dans une tour du XVe, au 28e étage, où je me révélais au-dessous du niveau de la mer. Normal, Tarpon, un nom de poisson…

 

Le lendemain matin dans le TGV Paris-Libourne j’étais frais comme une limande de supermarché délaissée par les ménagères de plus de 50 ans, l’œil vitreux, la bouche pâteuse et de brutales envies de pisser. Au bar, où je me rinçais à l’eau minérale, une conversation, de deux greluches sapées court et moulé, captait mon attention. Il y était question du propriétaire du château la Cloche, plus précisément de sa nouvelle moitié, «d’une vulgarité à décoiffer les adeptes les plus chics du Ferret» (sic) je cite. S’en suivait une revue d’effectifs complète sur un phénomène qui semblait fort répandu sur le terroir d’exception où je me rendais : « la seconde épouse des propriétaires en retour d’âge ». Passionnant ! J’emmagasinais dans ma petite tête le fruit de ce name dropping ferroviaire émanant de deux nanas informées et connectées.

 

En découvrant la gare de Libourne mon seul qualificatif fut : minable ! En la matière je suis un grand expert. Aucun taxi à l’horizon, je restais un moment planté comme un cierge de Pâques sur le parking dans l’espoir d’en voir s’en pointer un. Comme une envie de foutre le camp, je hais la province, les routes départementales, les prés, les vaches, les veaux, les cochons et les couvées, j'ai un côté Jean Yanne très prononcé.

 

- Monsieur Tarpon vous attendez quelqu’un ?

 

La voix m’interpellant provenait d’un type, avec des Ray Ban sur le front, assis au volant d’un gros 4x4 teuton noir. Je m’approchai :

 

-  Bonjour monsieur, vous me connaissez ?

 

- Bien sûr que oui je vous suis sûr Face de Bouc. J’aime bien votre style…

 

- Merci !

 

- Jean-Luc Boisduvin, garagiste… Qu’est-ce qui vous amène dans notre beau pays monsieur Tarpon ?

 

Le gus avait une bonne bouille sympa, des yeux rieurs, et une tenue décontractée, je n’avais aucune raison de jouer les mijaurées. Bien au contraire il me fallait saisir l’occasion. J’étalais ma science vineuse : « très heureux de faire la connaissance de l’érecteur du château Vadanleau… »

 

- Toujours le mot qui fait mouche monsieur Tarpon !

 

- Appelez-moi Eugène !

 

- Et vous Jean-Luc… Je rentre à Saint-Émilion, je peux vous poser à votre destination…

 

- C’est très aimable à vous mais, pour ne rien vous cacher, je ne sais pas très bien où aller…

 

- … et si nous allions discuter de tout cela autour d’un verre ?

 

- Avec plaisir mais je vous préviens, Jean-Luc, je n’ai pas un palais très raffiné…

 

- Faites comme-ci, jouez la comédie, ici c’est le bal des faux-culs…

 

Dans la bourgade pleine de belles pierres, de pavés, de hordes de retraités drivés par des nénettes bien gaulées, Jean-Luc s’arrêtait tous les 3 mètres pour serrer des pinces mâles locales et me présenter d’un «Eugène Tarpon, un nom de poisson… ». Poilant le Jean-Luc, mais comme arrivée discrète faudrait que je repasse, d’ici à ce soir j’allais faire l’objet des conversations du tout Saint-Émilion des châteaux.

 

Nous atterrîmes enfin à «L’Endroit du décor» chez l’aubergiste poète François Des Lices. Jovial, disert, accueillant, sous les charmilles, il déflora toute une floppée de belles quilles. Le téléphone arabe, aussi efficace que le télégraphe Chappe à Austerlitz, draina la fine fleur du cru. En moins de temps qu’il faut pour dire une messe basse je me retrouvais au centre d’une tablée des plus belles gorges profondes des GCC hauts perchés ; pas la piétaille. Tels des chiens truffiers ils avaient repéré le bon client. Nous dînames jusqu'à une heure fort avancée. Sans que j’eusse à lever le petit doigt je me retrouvais logé en un lieu prestigieux que je tiendrai secret. Sur les hauteurs, disons…

 

Ces messieurs ne se firent pas prier pour dévider la cotriade des vacheries les plus savoureuses et les plus croustillantes circulant à propos d’untel ou d’une telle. J’enrichissais mon vocabulaire. Bizarrement aucune allusion ne fut faite à la baronne des Sables de Sainte Émilion. Un peu parano, et surtout flottant dans des vapeurs alcoolisées, je commençais à me demander si je n’étais pas en train de tomber dans un coup fourré. Au dessert, en sirotant un Yquem de je ne sais quel vieux millésime, je lançais à la cantonade : « l’un d’entre vous pourrait-il me prêter une mobylette ? »

 

Loin de les désarçonner, ma demande incongrue trouva un écho favorable...

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