J’avais envie de revoir l’océan, alors avant que le jour se lève j’ai quitté Paris. L’air était pur, j’étais sûr que j’allais retrouver mes sensations d’enfance. Le soleil rouge s’est soudain plaqué derrière mon dos. Rouler. Rouler jeunesse disait le forain de la kermesse lorsque nous montions dans les autos-tamponneuses. Que la Bretagne est belle sous le soleil ! J’aime les ports de pêche, les laboureurs de la mer, la pêche, la cueillette, les chalutiers colorés, les filets emmêlés, rude métier.
Je me suis posé au Guilvinec face à l’entrée du port, au Poisson d’Avril, des petites langoustines fraîchement pêchées, fermes et goûteuses, un vrai régal, comme un parfum d’enfance de celles de maman.
Comme toujours, j’ai ouvert un livre et j’ai lu.
« Chez mes grands-parents, à la mer, pendant les interminables soirées d’été, mon frère et moi dînions avant les autres. En cuisine ou, encore mieux, sur la terrasse. Assis à une petite table de fer rouge et blanche, on jouissait d’un menu spécial qui nous évitait les plats dégoûtants du dîner des adultes. D’habitude on nous servait une petite soupe (ma préférée était celle à la semoule avec énormément de parmesan), une sole meunière et une pêche coupée en tranches. Parfois, le luxe d’une crème caramel sortie toute fraîche de son moule. »
Michele Serra, me propulse dans la salle commune du Bourg-Pailler, tout italien qu’il est, l’enfance n’a pas de frontière.
« En réfléchissant, je me rends compte que j’ai vécu ces dîners en aparté non comme une exclusion mais comme une exemption. Manger ma soupe à la semoule, ma sole et ma crème caramel avec mon frère, alors que le vol d’hirondelles effleurait la terrasse, voulait dire que je demeurais dans l’enfance.
Que j’étais un enfant (…)
J‘étais à la marge de leur monde. Mais pas un exilé. »
La marge, là où laisse son imagination vagabonder, ce temps d’attente où loin de l’agitation et des désirs des grandes personnes, des luttes à venir, des vexations, du pouvoir, on se laisse aller dans la pénombre d’une rêveuse indolence, de l’ennui, à l’irresponsabilité.
Ce temps, c’est celui de la fabrique de notre vie, de son socle, de ce qui fait ce que l’on sera, de sa colonne vertébrale, de la ligne de force sur laquelle on s’appuiera.
C’est ainsi que je me suis fait dans ma Vendée crottée.
Et, Michelle Serra de pointer là où sont nos enfants ou petits-enfants :
« Quand j’assiste à la négligence unanime des adultes dans les restaurants face aux cris et aux courses effrénées des insupportables petits chéris rendus hystériques par une promiscuité imposée, quand j’assiste au triste exhibitionnisme d’enfants que la vulgarité sentimentale des parents a transformés en petits adultes, donnés en pâture à leur acerbe vanité et au voyeurisme infanticide des grandes personnes, je repense avec nostalgie à l’heureuse marginalité de mon enfance, à cette avant-vie si dense de parfums, de bienheureuses solitudes et de temps vide et silencieux. »
Voilà, c’est écrit et qu’on ne vienne pas me dire que c’est le résultat de la permissivité des soixante-huitard, l’enfant-roi n’est pas le produit de ce temps de libération des mœurs il est un sous-produit d’un consumérisme exacerbé, d’une société qui se dit libertaire mais qui ne fait que, au nom de beaux et bons sentiments, propulser ses enfants dans la grande compétition où il faut être le premier, celui qui réussit : à 5 ans si tu ne parles pas 3 langues tu n’as pas réussi ta vie…
Michele Serra Les Affalés Flammarion