Mon cordon bleu de mère avait aussi un vrai talent de pâtissière.
Sa Charlotte à la poire hante encore mes rêves culinaires les plus fous…
Mon plaisir commençait dès sa confection avec les effluves sucrées du rhum dans lequel maman imbibaient les boudoirs. Opération hautement délicate, trop c’est mou, pas assez c’est sec, du doigté donc… le tour de mains...
J’aimais bien aussi la forme tarabiscotée du moule à Charlotte avec ses profondes et rondes rainures…
Mais bien sûr l’extase survenait lorsque maman coupait délicatement, avec la pelle à gâteau au manche de nacre, les parts, avec toujours une certaine tendance à m’attribuer la plus belle… et que je taillais avec la fourchette à gâteau la première bouchée de la Charlotte à la poire que je portais à ma bouche. Je fermais les yeux pour mieux la savourer.
Avec Joris-Karl Huysmans, la nouvelle idole de Michel Houellebecq, je peux poser la question : « Peut-on, sans blesser Dieu, savourer une charlotte ?
Il y a bien des œufs dedans, mais si battus, si mortifiés que ce plat se révèle presque ascétique ; […]. »
Depuis ce temps d'enfance je suis en manque, en manque radical, bien incapable que je suis de faire revivre la Charlotte à la poire de maman…
Graphomane impénitent j’en suis réduit à me replier sur l’histoire de la gastronomie anglaise pour écrire que le nom donné à ce gâteau est celui de la reine Charlotte de Mecklembourg-Strelitz (1744-1818), épouse de George III, roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande.
La Charlotte apparaît en Angleterre à partir de la fin du XVIIIe siècle et est alors composée de mie de pain, de compote de pommes et de cannelle. Antonin Carême, cuisinier de Talleyrand, la perfectionne en lui ajoutant les fameux boudoirs qu’il a composés pour son maître (pour qu'il puisse les tremper dans son Madère). Le nom fait référence à la diplomatie du boudoir dont Talleyrand est friand. Il augmente également cette « charlotte à la parisienne » de crème à bavarois, qu’il substitue à la compote. »
Pour faire mon intéressant je rappelle que la charlotte est aussi une sorte de bonnet féminin, très populaire dans les classes modestes du XVIIIe au XIXe siècle. Confectionnée en batiste ou en mousseline avec une bordure froncée elle servait à cacher les cheveux afin d'indiquer la respectabilité.
De nos jours la charlotte est aussi portée par les officiels lors de leurs visites d’établissements : industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et parfois chimiques pour des raisons d'hygiène. C’est du meilleur effet.
Pour ceux qui sont passés sur le billard, avant d’aller rêver sous anesthésie, tout le petit monde de la chirurgie en est aussi coiffé avec une tendance à la couleur verte.
Pour mémoire Charlotte Corday… Marie-Antoinette-Charlotte de Corday d'Armont... portait une charlotte et assassina Marat l'ami du Peuple...
« Charlotte avait le feu sacré de l’indépendance, ses idées étaient arrêtées et absolues. Elle ne faisait que ce qu’elle voulait. On ne pouvait pas la contrarier, c’était inutile, elle n’avait jamais de doutes, jamais d’incertitudes. Son parti une fois pris, elle n’admettait plus de contradiction. Son oncle, le pauvre abbé de Corday m’en a parlé dans les mêmes termes, comme d’une personne qui avait un caractère d’homme. Elle avait, en outre un esprit assez railleur, assez moqueur… Elle était susceptible de sentiments nobles et élevés, de beaux mouvements. Avec l’énergie dont elle était douée, elle s’imposait et n’en faisait jamais qu’à sa tête. Quoique dans la famille les femmes soient toutes énergiques, il n’y en avait pas qui eussent un caractère aussi décidé, aussi capable. Si elle eût commandé un régiment, elle l’eût bien mené, cela se devine . »
Pour finir un morceau d’anthologie : Charlotte interprété par le regretté Pierre Vassiliu :
« Toc toc toc qui qu'est là/Qui qui frappe à ma porte/ Est-ce toi la Charlotte »
Pour le reste c’est « à votre bon cœur pâtissières de mes cantines préférées ! »
Je ne donne pas de nom, Marion…
Du côté boire je laisse le soin à Pierre Jancou de faire sauter un bouchon de Pet Nat’… En attendant je vous propose un de mes chouchous : un champagne d'Emmanuel Brochet...
Damien Cabanes, Charlotte fond rouge, 80 x 71 cm, huile sur toile, 2015. Collection privée. Courtesy galerie Éric Dupont, Paris